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Page:Michelet - OC, Histoire de France, t. 5.djvu/339

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GRANDEUR DE LA MAISON DE BOURGOGNE

de grandes armées et déjà de tactique, étaient pourtant fort encouragés par la maison de Bourgogne. Quoique le spectacle fût peu dangereux, il n’en était pas moins une occasion de vives émotions, plus sensuelles qu’on ne croirait. Au moment même du choc, quand, les trompettes se taisant tout à coup, les chevaux lancés se heurtaient, quand les lances fragiles se brisaient sur l’impénétrable armure, le coup frappait ailleurs encore, les dames se troublaient et devenaient vraiment belles… Que s’il n’y avait rien de fait, s’il fallait recommencer, si le cavalier revenait à la charge, plus d’une ne se connaissait plus ; il n’y avait alors plus de ménagement, de respect humain… On jetait, pour encourager celui qu’on croyait en péril, gant, bracelet, tout ; on aurait jeté son cœur[1]


    Tout cela commençait à paraître assez puéril. Le pauvre Jacques de Lalaing, dernier héros de cette gymnastique, avait peine à trouver des gens qui voulussent le délivrer de son emprise. Son fameux pas d’armes de la Dame de pleurs auprès de Dijon, à la rencontre des routes de France, d’Italie, etc., et dans l’année du Jubilé, lui fournit peu d’adversaires : « Personne n’a pitié de la Dame de plours, et n’y veut toucher. » Le Bâtard de Saint-Pol a beau suspendre près de Saint-Omer l’écu de Tristan et de Lancelot-du-Lac, son pas de la Belle pèlerine est peu fréquenté. — Le dernier fol en ce genre, comme il est juste, est un lord anglais, qui va se poster au pont de l’Arno, pour forcer les pacifiques Toscans de se battre avec lui ; cet Anglais est à peu près contemporain de Cervantes.

  1. Ces déchirantes voluptés de la peur ont été observées de tout le monde en Espagne dans les combats de taureaux. Mais elles ne sont nulle part exprimées de façon plus naïve et plus charmante que dans le roman de Perceforêt, qui est ici une histoire : « A la fin du tournoi, les dames se trouvoient quasi nues de leurs atours ; elles s’en alloient leurs cheveux d’or flottant sur leurs épaules, de plus, les cottes sans manches ; elles avoient jeté aux chevaliers guimpes et chaperons, mantel et camise… Quand elles se virent en ce point, elles en furent toutes honteuses ; puis, chacune s’apercevant que la voisine étoit de même, elles se mirent à rire de leur aventure ; elles n’avoient plus songé qu’elles alloient se trouver nues, tant elles donnoient de bon cœur ! »