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Page:Michelet - OC, Histoire de France, t. 5.djvu/342

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HISTOIRE DE FRANCE

tique, qui, dit-on, consumait ses jours dans la pure contemplation de la beauté[1], pria le magicien des Pays-Bas de lui doubler son plaisir, de lui reproduire une femme, les longs et doux cheveux surtout[2] que les Italiens ne savaient peindre, la toison d’or de ce beau chef, la fleur de cette fleur humaine.

Quel charme pour l’heureux fondateur de la Toison d’or, pour le bon duc, si tendre aux belles choses, d’avoir à lui[3] justement celui qui savait les saisir dans le mouvement de la vie, et les empêcher de passer ! celui qui le premier fixa l’iris capricieuse qui nous flatte et nous fuit sans cesse…

Dans l’empire de ce roi de la couleur et de la lumière, venaient se pacifier les teintes voyantes, les oppositions de figures, de costumes, de races, que présentait l’hétérogène empire de la maison de Bourgogne. L’art semblait un traité dans cette guerre intérieure de peuples mal unis. La grande école flamande des trois cents peintres de Bruges, avait pour maître Jean Van Eyck, un enfant de la Meuse. Et c’était tout au contraire un Flamand, Chastellain, qui, portant

  1. C’est à un pape que nous devons le souvenir de ce pur et poétique amour. Pie II raconte que la dernière passion d’Alfonse fut une noble jeune fille, Lucrezia d’Alagna. En sa présence, il semblait hors de lui-même ; ses yeux étaient toujours fixés sur elle, il ne voyait, n’entendait qu’elle ; et néanmoins cette ardente passion ne coûta rien à sa vertu.
  2. « Capillis naturam vincentibus. » (Keversberg.)
  3. Il semble que Philippe-le-Bon ait montré Van Eyck aux nations étrangères comme Philippe IV leur montrait Rubens dans les ambassades : parmi les personnes attachées à l’ambassade qui alla chercher l’infante de Portugal, se trouvait Jehan Van Eyck, « varlet de chambre de mondit seigneur de Bourgoingne, et excellent maistre en art de peinture, » qui peignait « bien au vif la figure de l’infante Isabelle ».