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Page:Michelet - OC, Histoire de France, t. 5.djvu/359

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CHARLES VII ET PHILIPPE-LE-BON

fondément naturelle ; c’est que la famille seigneuriale, née de la terre, y était enracinée, qu’elle vivait d’une même vie, qu’elle en était, pour ainsi parler, le genius loci[1]. Au quinzième siècle, les mariages, les héritages, les dons des rois, ont tout bouleversé. Les familles féodales qui avaient intérêt à fixer et concentrer les fiefs, ont travaillé elles-mêmes à leur dispersion. Séparées par de vieilles haines, elles se sont rarement alliées au voisin ; le voisin, c’est l’ennemi ; elles ont plutôt cherché, jusqu’au bout du royaume, l’alliance du plus lointain étranger. De là des réunions de fiefs, bizarres, étranges, comme Boulogne et Auvergne ; d’autres même odieuses ; ainsi, dans la France du Nord, où les Arma-

  1. C’est elle, le plus souvent, qui avait en quelque sorte fait la terre ; elle y avait bâti des murs, un asile contre les païens du Nord, où l’agriculteur pouvait se retirer, ramener ses troupeaux. Les champs avaient été défrichés, cultivés aussi loin qu’on pouvait voir la tour. La terre était fille de la seigneurie, et le seigneur était fils de la terre ; il en savait la langue et les usages, il en connaissait les habitants, il était des leurs. Son fils, grandissant parmi eux, était l’enfant de la contrée. — Le blason d’une telle famille devait être compris du moindre paysan. Il n’était ordinairement autre chose que l’histoire même du pays. Ce champ héraldique était visiblement le champ, la terre, le fief ; ces tours étaient celles que le premier ancêtre avait bâties contre les Normands : ces besans, ces têtes de Mores, étaient un souvenir de la fameuse croisade où le seigneur avait mené ses hommes et qui faisait l’entretien du pays.
    Mêmes blasons au quinzième siècle, tout autres familles. Il serait facile de prendre tous les fiefs de France et de montrer que la plupart sont alors entre les mains de familles étrangères, que tous les noms, tous les blasons sont faux. Anjou n’est pas Anjou ; ce ne sont plus les Foulques, les infatigables batailleurs de la lande bretonne ; ce ne sont plus les Plante-genêts, plantés dans la Loire, transplantés glorieusement en Normandie, en Aquitaine, en Angleterre. Bretagne n’est pas Bretagne ; la race indigène du vieux clan, Noménoé, s’est mariée en Capet, et les Capets bretons en Montfort ; vrai vaisseau de Thésée, où toute pièce change et le nom subsiste. Foix n’est plus Foix, la dynastie des Phébus, gracieuse, spirituelle, à la béarnaise ; ce sont les rudes Grailly de Buch, farouches capitaines, mêlés de l’àpreté des landes et d’orgueil anglais.