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HISTOIRE DE FRANCE

ans. « Que de fois, dit-elle, j’ai été chez son père, et couché avec elle, de bonne amitié[1]… C’était une bien bonne fille, simple et douce. Elle allait volontiers à l’église et aux saints lieux. Elle filait, faisait le ménage, comme font les autres filles… Elle se confessait souvent. Elle rougissait quand on lui disait qu’elle était trop dévote, qu’elle allait trop à l’église. » Un laboureur, appelé aussi en témoignage, ajoute qu’elle soignait les malades, donnait aux pauvres. « Je le sais bien, dit-il : j’étais enfant alors, et c’est elle qui m’a soigné. »

Tout le monde connaissait sa charité, sa piété. Ils voyaient bien que c’était la meilleure fille du village. Ce qu’ils ignoraient, c’est qu’en elle la vie d’en haut absorba toujours l’autre et en supprima le développement vulgaire. Elle eut, d’âme et de corps, ce don divin de rester enfant. Elle grandit, devint forte et belle, mais elle ignora toujours les misères physiques de la femme[2]. Elles lui furent épargnées, au profit de la pensée et de l’inspiration religieuse. Née sous les murs mêmes de l’église, bercée du son des cloches et nourrie de légendes, elle fut une légende elle-même, rapide et pure, de la naissance à la mort.

Elle fut une légende vivante… Mais la force de vie, exaltée et concentrée, n’en devint pas moins créatrice. La jeune fille, à son insu, créait, pour ainsi parler, et réalisait ses propres idées, elle en faisait des

  1. « Stetit et jacuit amorose in domo patris sui. » (Déposition d’Haumette.)
  2. « A ouy dire à plusieurs femmes que la ditte Pucelle… onques n’avoit eu… » (Déposition de son vieil écuyer, Jean Daulon.)