êtres, elle leur communiquait du trésor de sa vie virginale une splendide et toute-puissante existence, à faire pâlir les misérables réalités de ce monde.
Si poésie veut dire création, c’est là sans doute la poésie suprême. Il faut savoir par quels degrés elle en vint jusque-là, de quel humble point de départ.
Humble à la vérité, mais déjà poétique. Son village était à deux pas des grandes forêts des Vosges. De la porte de la maison de son père, elle voyait le vieux bois des chênes[1]. Les fées hantaient ce bois ; elles aimaient surtout une certaine fontaine près d’un grand hêtre qu’on nommait l’arbre des fées, des dames[2]. Les petits enfants y suspendaient des couronnes, y chantaient. Ces anciennes dames et maîtresses des forêts ne pouvaient plus, disait-on, se rassembler à la fontaine ; elles en avaient été exclues pour leurs péchés[3]. Cependant l’Église se défiait toujours des vieilles divinités locales ; le curé, pour les chasser, allait chaque année dire une messe à la fontaine.
Jeanne naquit parmi ces légendes, dans ces rêveries populaires. Mais le pays offrait à côté une tout autre poésie, celle-ci, sauvage, atroce, trop réelle, hélas ! la poésie de la guerre… La guerre ! ce mot seul dit toutes les émotions ; ce n’est pas tous les jours sans doute l’assaut et le pillage, mais bien plutôt l’attente, le tocsin, le réveil en sursaut, et dans la plaine au