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HISTOIRE DE FRANCE

loin le rouge sombre de l’incendie… État terrible, mais poétique ; les plus prosaïques des hommes, les Écossais du pays bas, se sont trouvés poètes parmi les hasards du border ; de ce désert sinistre, qui semble encore maudit, ont pourtant germé les ballades, sauvages et vivaces fleurs.

Jeanne eut sa part dans ces romanesques aventures. Elle vit arriver les pauvres fugitifs, elle aida, la bonne fille, à les recevoir ; elle leur cédait son lit et allait coucher au grenier. Ses parents furent aussi une fois obligés de s’enfuir. Puis, quand le flot des brigands fut passé, la famille revint et retrouva le village saccagé, la maison dévastée, l’église incendiée.

Elle sut ainsi ce que c’est que la guerre. Elle comprit cet état anti-chrétien, elle eut horreur de ce règne du diable, où tout homme mourait en péché mortel. Elle se demanda si Dieu permettrait cela toujours, s’il ne mettrait pas un terme à ces misères, s’il n’enverrait pas un libérateur, comme il l’avait fait si souvent pour Israël, un Gédéon, une Judith ?… Elle savait que plus d’une femme avait sauvé le peuple de Dieu, que dès le commencement il avait été dit que la femme écraserait le serpent. Elle avait pu voir au portail des églises sainte Marguerite, avec saint Michel, foulant aux pieds le dragon[1]… Si, comme tout le monde disait, la perte du royaume était l’œuvre d’une femme,

  1. Sainte Marguerite voit apparaître le diable sous la forme d’un dragon ; elle le met en fuite par un signe de croix. Elle s’échappe de la maison de son mari, en habit d’homme : « Tonsis crinibus, in virili habitu. » (Legenda aurea Sanctorum.)