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HISTOIRE DE FRANCE

Il restait pourtant une prise sur ces âmes qu’on pouvait saisir ; elles étaient sorties de l’humanité, de la nature, sans avoir pu se dégager entièrement de la religion. Les brigands, il est vrai, trouvaient moyen d’accommoder de la manière la plus bizarre la religion au brigandage. L’un d’eux, le Gascon La Hire, disait avec originalité : « Si Dieu se faisait homme d’armes, il serait pillard. » Et quand il allait au butin, il faisait sa petite prière gasconne, sans trop dire ce qu’il demandait, pensant bien que Dieu l’entendrait à demi mot : « Sire Dieu, je te prie de faire pour La Hire ce que La Hire ferait pour toi, si tu étais capitaine, et si La Hire était Dieu[1]. »

Ce fut un spectacle risible et touchant de voir la conversion subite des vieux brigands armagnacs. Ils ne s’amendèrent pas à demi. La Hire n’osait plus jurer ; la Pucelle eut compassion de la violence qu’il se faisait, elle lui permit de jurer : « Par son bâton. » Les diables se trouvaient devenus tout à coup de petits saints.

Elle avait commencé par exiger qu’ils laissassent leurs folles femmes et se confessassent[2]. Puis, dans la route, le long de la Loire, elle fit dresser un autel sous le ciel, elle communia, et ils communièrent. La beauté de la saison, le charme d’un printemps de Touraine, devaient singulièrement ajouter à la puis-

  1. « Sur quoy le chapelain lui donna absolution telle quelle, et lors La Hire fit sa prière à Dieu, en disant en son gascon… » (Mémoires concernant la Pucelle.)
  2. Déposition de Dunois : « Jeanne ordonna que tous se confessâssent… et leur fict oster leurs fillettes. » (Mémoires concernant la Pucelle.)