Aller au contenu

Page:Michelet - OC, Histoire de France, t. 5.djvu/79

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
69
LA PUCELLE D’ORLÉANS

Jeanne, lui dit-il ; mangeons ensemble ce poisson qu’on vient de pêcher. » « Gardez-le, dit-elle gaiement ; gardez-le jusqu’à ce soir, lorsque je repasserai le pont après avoir pris les Tournelles ; je vous amènerai un Godden qui en mangera sa part[1]. »

Elle chevaucha ensuite avec une foule d’hommes d’armes et de bourgeois jusqu’à la porte de Bourgogne. Mais le sire de Gaucourt, grand maître de la maison du roi, la tenait fermée. « Vous êtes un méchant homme, lui dit Jeanne ; que vous le vouliez ou non, les gens d’armes vont passer. » Gaucourt sentit bien que devant ce flot de peuple exalté sa vie ne tenait qu’à un fil ; d’ailleurs ses gens ne lui obéissaient plus. La foule ouvrit la porte et en força une autre à côté.

Le soleil se levait sur la Loire au moment où tout ce monde se jeta dans les bateaux. Toutefois, arrivés aux Tournelles, ils sentirent qu’il fallait de l’artillerie, et ils allèrent en chercher dans la ville. Enfin ils attaquèrent le boulevard extérieur qui couvrait la bastille. Les Anglais se défendaient vaillamment[2]. La Pucelle, voyant que les assaillants commençaient à faiblir, se jeta dans le fossé, prit une échelle, et elle l’appliquait au mur lorsqu’un trait vint la frapper entre le col et l’épaule. Les Anglais sortaient pour la prendre ; mais on l’emporta. Éloignée du combat, placée sur l’herbe et désarmée, elle vit combien sa

  1. Déposition de Colette, femme du trésorier Milet, chez lequel elle logeait.
  2. « Sembloit… qu’ils cuidassent estre immortels. » (L’Histoire et Discours au vray du siège.)