Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 2.djvu/19

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Nous ne sommes point de ces amis du peuple qui méprisent l’opinion du peuple, sourient du préjugé populaire, qui se croient modestement plus sages que Tout-le-Monde.

Tout-le-Monde, pour les habiles et les gens d’esprit, c’est un pauvre homme de bien, qui n’y voit guère, heurte, choppe, qui barbouille, ne sait pas trop ce qu’il dit. Vite, un bâton à cet aveugle, un guide, un soutien, quelqu’un qui parle pour lui.

Mais les simples, qui n’ont pas d’esprit, comme Dante, Shakespeare et Luther, voient tout autrement ce bon homme. Ils lui font la révérence, recueillent, écrivent ses paroles, se tiennent debout devant lui. C’est lui que le petit Shakespeare écoutait, gardant les chevaux, à la porte du spectacle ; lui que Dante venait entendre dans le marché de Florence. Le docteur Martin Luther, tout docteur qu’il est, lui parle le bonnet à la main, l’appelant maître et seigneur : « Herr omnes (Monseigneur Tout-le-Monde). »

Tout-le-Monde, ignorant sans doute dans les choses de la nature (il n’enseignera pas la physique à Galilée ni le calcul à Newton), n’en est pas moins un juste juge dans les choses de l’homme. Il est souverain maître en droit. Quand il siège, en son prétoire et tribunal naturel, aux carrefours d’une grande ville, ou sur le banc devant l’église, ou encore sur une pierre à la croix des quatre routes, sous l’orme du jugement, il juge là sans appel ; il n’y a pas à dire non. Les rois, les reines et les tribuns, les Mirabeau,