Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 2.djvu/23

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un contemplateur fortuit, un témoin qui voit du dehors ; elle fut en eux, les anima, les pénétra de son esprit. Ils furent en grande partie son œuvre ; elle les sait, parce qu’elle les fit. Sans nier l’influence du génie individuel[1], nul doute que, dans l’action de ces hommes, la part principale ne revienne cependant à l’action générale du peuple, du temps, du pays. La France les sait dans cette action qui fut d’elle, comme leur créateur les sait. Ils tinrent d’elle ce qu’ils furent, tels ou tels points exceptés où elle devient leur juge, approuve ou condamne, et dit : « En ceci, vous n’êtes pas miens. »

Toute étude individuelle est accessoire et secondaire, auprès de ce profond regard de la France sur la France, de cette conscience intérieure qu’elle a de ce qu’elle fit. La part de la science n’en reste pas moins grande. Autant cette conscience est forte et profonde, autant aussi elle est obscure, a besoin que la science l’explique. La première garde et gardera les jugements qu’elle a portés ; mais les motifs des jugements, toutes les pièces du procès, les raisonnements souvent compliqués, par lesquels l’esprit populaire obtient des conclusions qu’on appelle simples, naïves, tout cela s’est effacé. Et c’est là ce que la science est chargée de retrouver.

Voilà ce que nous demande la France, à nous autres historiens, non de faire l’histoire, elle est faite

  1. Dans un très bel article où le journal la Fraternité pose le véritable idéal de l’histoire, il réduit trop cependant la part du génie individuel (octobre 1847).