Aller au contenu

Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 2.djvu/359

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Nous ne nous en tirerons pas maintenant à moins de vingt mille. »

Violents applaudissements.

Marat commençait à être une idole pour le peuple, un fétiche. Dans la foule des délations, des prédictions sinistres dont il remplissait ses feuilles, plusieurs avaient rencontré juste et lui donnaient le renom de voyant et de prophète. Déjà, trois bataillons de la garde parisienne lui avaient arrangé un petit triomphe, qui n’aboutit pas, promenant dans les rues son buste couronné de lauriers. Son autorité n’était pas arrivée au degré terrible qu’elle atteignit en 1793. Desmoulins, qui ne respectait pas plus les dieux que les rois, riait parfois du dieu Marat autant que du dieu La Fayette.

Sans égard à l’enthousiasme délirant de Legendre, qui, les yeux, l’oreille, la bouche démesurément ouverts, humait, admirait, croyait, sans remarquer sa fureur contre toute interruption, le hardi petit homme apostropha familièrement le prophète : « Toujours tragique, ami Marat, hypertragique, tragicotatos ! Nous pourrions te reprocher, comme les Grecs à Eschyle, d’être un peu trop ambitieux de ce surnom… Mais non, tu as une excuse ; ta vie errante aux catacombes, comme celle des premiers chrétiens, allume ton imagination… Là, dis-nous bien sérieusement, ces dix-neuf mille quatre cents têtes, que tu ajoutes par forme d’amplification aux six cents de l’autre jour, sont-elles vraiment indispensables ? N’en rabattras-tu pas d’une ?… Il ne faut pas faire avec