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Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 3.djvu/57

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entendait plus. Le péril était le même, et l’on y songeait à peine. L’étourdissement était venu, et l’insensibilité au mouvant tableau du dehors, incessamment renouvelé. Chose étrange, et qui montre les ressources éternellement vitales de la nature, ce petit monde fragile de gens qui, ensemble, s’en allaient tous à la mort, s’arrangeait, chemin faisant, pour vivre encore dans la tempête.

Mais, tout à coup, voici un choc… Un flot nouveau de furieux veut tuer les gardes du corps. Barnave passa la tête à la portière et les regarda ; ce fut comme si l’Assemblée nationale eût été là : ils reculèrent tous.

Un peu plus loin, autre incident, et plus grave, qui faillit être fatal. Un pauvre prêtre, le cœur navré du sort du roi, approche, les yeux pleins de larmes, et lève les mains au ciel… La foule furieuse le saisit, on l’entraîne, il va périr… Barnave se précipite, moitié corps, hors de la voiture : « Tigres, vous n’êtes donc pas Français ?… La France, le peuple des braves, est-il celui des assassins ? » Le prêtre fut sauvé par ce mot. Mais Barnave serait tombé si Madame Élisabeth, toute dominée qu’elle était toujours par l’étiquette et la réserve, n’eût tout oublié en ce moment et ne l’eût tenu par la basque… La reine en fut toute surprise, autant qu’émue et reconnaissante pour le noble jeune homme. Dès lors, elle lui parla.

Le soir du troisième jour[1], la famille royale des-

  1. La famille royale fit la première couchée à Châlons, la seconde à Dormans. Là, les commissaires, sous le prétexte qu’on pouvait être encore