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offert une remarquable alliance entre deux facultés rarement unies, la ferme raison et la foi infinie à l’avenir. Ferme contre Voltaire même, quand il le trouva injuste[1], ami des économistes sans aveuglement pour eux, il se maintint de même indépendant à l’égard de la Gironde. On lit encore avec admiration son plaidoyer pour Paris contre le préjugé des provinces, qui fut celui des Girondins.

Ce grand esprit était toujours présent, éveillé, maître de lui-même. Sa porte était toujours ouverte, quelque travail abstrait qu’il fît. Dans un salon, dans une foule, il pensait toujours, il n’avait nulle distraction. Il parlait peu, entendait tout, profitait de tout ; jamais il n’a rien oublié. Toute personne spéciale, qui l’interrogeait, le trouvait plus spécial encore dans la chose qui l’occupait. Les femmes étaient étonnées, effrayées de voir qu’il savait jusqu’à l’histoire de leurs modes[2], et très haut en remontant, et dans le plus grand détail. Il paraissait très froid, ne s’épanchait jamais[3]. Ses amis ne savaient son amitié que par l’extrême ardeur qu’il mettait secrètement à leur rendre des services. « C’est un volcan sous la neige », disait d’Alembert. Jeune, dit-on, il avait aimé et, n’espérant

  1. Lorsque Voltaire voulait qu’on préférât d’Aguesseau à Montesquieu.
  2. Voir le portrait de Condorcet, par Mlle de Lespinasse, t. XII des Œuvres complètes, publiées par Mme Condorcet O’Connor, avec une Notice de M. Arago, des notes de M. Génin, etc.
  3. Sous ces formes sèches et froides, il avait une sensibilité profonde, universelle, qui embrassait toute la nature. Voir dans son testament (t. XII des Œuvres), adressé à sa fille, sa touchante réclamation en faveur des animaux.