rien, il fut un moment tout près du suicide. Âgé alors et bien mûr, mais au fond non moins ardent, il avait pour sa Sophie un amour contenu, immense, de ces passions profondes d’autant plus qu’elles sont tardives, plus profondes que la vie même, et qu’on ne peut pas sonder.
Sophie en était très digne. Sans parler de l’admiration universelle des hommes du temps, je dirai un fait, mais grand, mais sacré. Quand l’infortuné Condorcet, traqué comme une bête fauve, enfermé dans un asile peu sûr, se dévorait lui-même le cœur des pensées du présent, écrivait son apologie, son testament politique, sa femme lui donna le sublime conseil de laisser là ces vaines luttes, de remettre avec confiance sa mémoire à la postérité et paisiblement d’écrire l’Esquisse d’un tableau des progrès de l’esprit humain. Il l’écouta, il écrivit ce noble livre de science infinie, d’amour sans bornes pour les hommes, d’espoir exalté, se consolant de sa mort prochaine par le plus touchant des rêves : que, dans le progrès des sciences, on pourra supprimer la mort !
Noble époque ! et qu’elles furent dignes d’être aimées, ces femmes, dignes d’être confondues par l’homme avec l’idéal même, la patrie et la vertu !… Qui ne se rappelle encore ce déjeuner funèbre, où pour la dernière fois les amis de Camille Desmoulins le prièrent d’arrêter son Vieux Cordelier, d’ajourner sa demande du Comité de la clémence ? Sa Lucile, s’oubliant comme épouse et comme mère, lui jette