Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 4.djvu/247

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non la vie seulement, non la fortune seulement, mais l’orgueil, la vanité, ce qu’on appelle l’honneur. Un seul fait pour faire comprendre. Le vaillant colonel Leveneur, qui s’est rendu célèbre pour avoir pris (à lui seul, on peut le dire) la citadelle de Namur, avait eu le malheur de suivre La Fayette dans sa fuite. Il se repentit, revint. Il ne rentra dans l’armée que comme soldat, et, sans murmure, il porta le sabre du simple hussard, jusqu’à ce que de nouveaux services lui eussent fait rendre son épée.

L’unité d’action était facile avec de tels hommes, même les bandes indisciplinées de volontaires qui arrivaient de Paris, une fois encadrées, contenues, Dumouriez l’avoue lui-même, elles devenaient excellentes, surmontaient les fatigues, les privations, mieux que les anciens soldats.

On voit bien dans ses Mémoires tout ce qu’il fit pour l’armée, mais pas assez comment cette armée fut soutenue… Il arrive à Dumouriez, comme à la plupart des militaires, de ne pas tenir assez compte des causes morales[1]. Il fait abstraction du grand et terrible effet que produisit sur l’armée allemande

  1. C’est le défaut trop ordinaire des écrivains militaires, spécialement des généraux qui écrivent leur propre histoire. Ils font honneur de tout succès à leurs calculs, oublient les hommes sans le dévouement desquels ces calculs ne servaient à rien. — Le plus grand et le plus coupable, Napoléon, dans ses Mémoires, donne volontiers le chiffre des hommes, nullement la qualité, le personnel merveilleux, unique, invincible, dont il disposait. Il a l’air d’ignorer l’infaillible épée que sa mère, la Révolution, lui avait léguée en mourant. « J’avais tant d’hommes, tant sont morts », voilà toute l’oraison funèbre. Quoi ! c’est là tout, grand Empereur ?… Pas un mot du cœur, pour tant de cœurs héroïques, qui ne vous distinguaient plus de la patrie et mouraient pour vous !