Aller au contenu

Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 5.djvu/117

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

s’était adressé d’abord au brillant journaliste de l’Aisne, à Camille Desmoulins ; celui-ci, d’une nature tout antipathique à la sienne, ne fît pas grand accueil à cet écolier hautain ; il ne vit dans Saint-Just et son œuvre que pathos et prétention ; il n’encouragea en lui ni le Romain ni le poète, se moqua des deux. Le voilà qui reste dans sa solitude, irrité et impatient, indigné d’être encore obscur, lisant son Plutarque, Sylla, Marius. On le surprenait abattant (à la Tarquin) des pavots d’une baguette, dans l’un Desmoulins peut-être ? dans l’autre Danton[1] ?

Une occasion vint, très belle. Saint-Just la prit d’un grand cœur. Blérancourt était menacé de perdre un marché qui le faisait vivre. Saint-Just écrit à

  1. Lettre de Saint-Just à Daubigny (20 juillet 1792) : « Je vous prie, mon cher ami, de venir à la fête… Depuis que je suis ici, je suis remué d’une fièvre républicaine, qui me dévore et me consume. J’envoie par le même courrier, à votre frère, ma deuxième lettre. Vous m’y trouverez grand quelquefois. Il est malheureux que je ne puisse rester à Paris. Je me sens de quoi surnager dans le siècle. Compagnon de gloire et de liberté, prêchez-la dans vos sections ; que le péril vous enflamme. Allez voir Desmoulins, embrassez-le pour moi et dites-lui qu’il ne me reverra jamais ; que j’estime son patriotisme, mais que je le méprise, lui, parce que j’ai pénétré son âme et qu’il craint que je ne le trahisse. Dites-lui qu’il n’abandonne pas la bonne cause et recommandez-le-lui, car il n’a point encore l’audace d’une vertu magnanime. Adieu ; je suis au-dessus du malheur. Je supporterai tout ; mais je dirai la vérité. Vous êtes tous des lâches, qui ne m’avez point apprécié. Ma palme s’élèvera pourtant et vous obscurcira peut-être… Infâmes que vous êtes ! je suis un fourbe, un scélérat, parce que je n’ai point d’argent à vous donner ? Arrachez-moi le cœur et mangez-le ; vous deviendrez ce que vous n’êtes point : grands ! — Je suis craint de l’administration, je suis envié, et, tant que je n’aurai point un sort qui me mette à l’abri de mon pays, j’ai tout ici à ménager. — Ô Dieu ! Faut-il que Brutus languisse oublié loin de Rome ! Mon parti est pris cependant : si Brutus ne tue point les autres, il se tuera lui-même.
    « Adieu, venez.
    « Saint-Just. »