Page:Michelet - OC, Légendes démocratiques du Nord, La Sorcière.djvu/378

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turer les moins coupables qu’il leur livre pour jouet, ce beau dogme du Moyen-âge se réalisait à la lettre. L’homme sentait l’absence de Dieu. Chaque razzia prouvait le règne de Satan, faisait croire que c’était à lui qu’il fallait dès lors s’adresser.

Là-dessus, on rit, on plaisante. « Les serves étaient trop laides. » Il ne s’agit point de beauté. Le plaisir était dans l’outrage, à battre et à faire pleurer. Au dix-septième siècle encore, les grandes dames riaient à mourir d’entendre le duc de Lorraine conter comment ses gens, dans des villages paisibles, exécutaient, tourmentaient toutes femmes, et les vieilles même.

Les outrages tombaient surtout, comme on peut le croire, sur les familles aisées, distinguées relativement, qui se trouvaient parmi les serfs, ces familles de serfs maires qu’on voit déjà au douzième siècle à la tête du village. La noblesse les haïssait, les raillait, les désolait. On ne leur pardonnait pas leur naissante dignité morale. On ne passait pas à leurs femmes, à leurs filles, d’être honnêtes et sages ; elles n’avaient pas droit d’être respectées. Leur honneur n’était pas à elles. Serves de corps, ce mot cruel leur était sans cesse jeté.


On ne croira pas aisément dans l’avenir que, chez les peuples chrétiens, la loi ait fait ce qu’elle ne fit jamais dans l’esclavage antique, qu’elle ait écrit expressément comme droit le plus sanglant outrage qui puisse navrer le cœur de l’homme.

Le seigneur ecclésiastique, comme le seigneur