Page:Michelet - OC, Légendes démocratiques du Nord, La Sorcière.djvu/380

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du mari, qui jugeait, qui châtiait, qui ordonnait des supplices, qui tenait le mari même par les fiefs qu’elle apportait, cette dame n’était guère tendre, pour une serve surtout qui peut-être était jolie. Ayant fort publiquement, selon l’usage d’alors, son chevalier et son page, elle n’était pas fâchée d’autoriser ses libertés par les libertés du mari.

Elle ne fera pas obstacle à la farce, à l’amusement qu’on prend de cet homme tremblant qui veut racheter sa femme. On marchande d’abord avec lui, on rit des tortures « du paysan avare » ; on lui suce la moelle et le sang. Pourquoi cet acharnement ? C’est qu’il est proprement habillé, qu’il est honnête, rangé, qu’il marque dans le village. Pourquoi ? c’est qu’elle est pieuse, chaste, pure, c’est qu’elle l’aime, qu’elle a peur et qu’elle pleure. Ses beaux yeux demandent grâce.

Le malheureux offre en vain tout ce qu’il a, la dot encore… C’est trop peu. Là, il s’irrite de cette injuste rigueur… « Son voisin n’a rien payé…… » L’insolent ! le raisonneur ! Alors toute la meute l’entoure, on crie ; bâtons et balais travaillent sur lui, comme grêle. On le pousse, on le précipite. On lui dit : « Vilain jaloux, vilaine face de carême, on ne la prend pas ta femme, on te la rendra ce soir, et, pour comble d’honneur, grosse !… Remercie, vous voilà nobles. Ton aîné sera baron ! » — Chacun se met aux fenêtres pour voir la figure grotesque de ce mort en habit de noces… Les éclats de rire le suivent, et la

    infliger de leurs mains à Jean de Meung, leur poète, l’auteur du Roman de la Rose (vers 1300).