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pour aller fraterniser avec la rive, avec la plaine. On les entend dire : « Allons !… Mourons à la vie stérile, pour entrer dans le travail, dans le cours fécond des choses. »

C’est une très funeste tendance de notre âge de se figurer que nature c’est rêverie, c’est paresse, c’est langueur. Les Bernardin de Saint-Pierre, les Chateaubriand, leurs imitateurs, n’ont que trop bien travaillé à nous énerver en ce sens. Point de vue fort opposé à celui de l’antiquité où le sage centaure, au contraire, pour donner au jeune héros le plus haut degré d’énergie, le tient aux antres des montagnes, aux vertes et fraîches forêts.

Loin de croire que la Nature, prise en sa vérité, mène aux molles faiblesses du cœur, j’en voudrais réserver les grandes et salutaires émotions à ces crises de la jeunesse où l’homme a besoin d’être soutenu. Ne croyez pas que les discours y suffisent. Gardez vos sermons, et laissez prêcher les Alpes.

Les deux grandes communions de la Montagne et de la Mer seraient très utilement réservées à ces moments. La Mer au premier éveil, au premier élan de la vie. La Montagne quand les sens ont leur crise, leur enivrement. Je voudrais à ce moment enlever l’homme à lui-même, sans vaine et froide parole, le tirer de la nature, – comment ? en le menant aux Alpes au sein de la nature même.

Je ne glacerais pas son cœur. Au contraire, je l’animerais d’une chaleur plus noble et plus haute.

Je le mènerais aux champs de Morat et de Sempach,