Page:Michelet - OC, La Montagne, L’Insecte.djvu/236

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aux mémorables batailles qui firent la liberté suisse, préparèrent celle du monde.

Je lui montrerais, aux sommets vénérables du Saint-Gothard, le point où les eaux se partagent, où les ruisseaux se disent adieu, s’en vont vers trois nations. Ces eaux, tantôt salutaires, tantôt sauvages et menaçantes, ont fait le lien des vallées, forcé les hommes d’en bas de s’entendre, de se lier, de former les fortes ligues, qui domptèrent les torrents, les fleuves, puis le torrent des Barbares, brisèrent au midi Barberousse, au nord Charles-le-Téméraire.

Ainsi la fraternité suisse, ainsi la ligue lombarde, ces grandes âmes de nations sortirent, pour ainsi dire des Alpes, furent éveillées par leurs fleuves et le mystère de leurs eaux.

Je m’arrête à ces exemples, et je n’irai pas plus loin. Dans le livre de la Montagne, j’ai fait, de chapitre en chapitre, surgir les puissances héroïques que nous puisons dans la Nature. Et maintenant, comme en voyage, derrière l’Alpe on voit se dresser encore une Alpe supérieure, je vois au delà de mon livre un autre qui commence ici : Régénération de l’espèce humaine.

Assez pour ce jour, assez. Ce petit livre, quel qu’il soit, a droit à ma reconnaissance. J’achève et je te remercie. Dans le long combat de la vie, de l’art (toujours inquiet) dans un temps de sombre attente, il m’empêcha de descendre et me retint à mi-côte. Par une heureuse alternance entre l’Histoire et la Nature, j’ai pu garder ma hauteur. Si j’avais suivi l’homme seul, la sauvage histoire de l’homme, j’aurais faibli de tristesse. Si j’avais suivi sans partage la