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LES FEMMES DE LA RÉVOLUTION

saisi. « L’amour-propre aurait bien voulu trouver de l’apprêt dans ce qu’elle disait mais il n’y avait pas moyen c’était tout simplement une nature trop parfaite. »

Au premier coup d’œil, on était tenté de croire qu’on voyait la Julie de Rousseau[1] ; à tort, ce n’était ni la Julie, ni la Sophie, c’était Mme Roland, une fille de Rousseau certainement, plus légitime encore peut-être que celles qui sortirent immédiatement de sa plume. Celle-ci n’était pas comme les deux autres une noble demoiselle. Manon Phlipon, c’est son nom de fille (j’en suis fâché pour ceux qui n’aiment pas les noms plébéiens) eut un graveur pour père, et elle gravait elle-même dans la maison paternelle. Elle procédait du peuple ; on le voyait aisément à un certain éclat de sang et de carnation qu’on a beaucoup moins dans les classes élevées ; elle avait la main belle, mais non pas petite, la bouche un peu grande, le menton assez retroussé, la taille élégante, d’une cambrure marquée fortement ; une richesse de hanches et de seins que les dames ont rarement.

Elle différait encore en un point des héroïnes de Rousseau c’est qu’elle n’eut pas leur faiblesse.

  1. Voyez les portraits de Lemontey, Riouffe et tant d’autres ; comme gravure, le bon et naïf portrait mis par Champagneux en tête de la première édition des Mémoires (an VIII). Elle est prise peu avant le temps de sa mort, à trente-neuf ans. Elle est forte, et déjà un peu maman, si on ose le dire, très sereine, ferme et résolue, avec une tendance visiblement critique. Ce dernier caractère ne tient pas seulement à sa polémique révolutionnaire ; mais tels sont en général ceux qui ont lutté, qui ont peu donné au plaisir, qui ont contenu, ajourné la passion, qui n’ont pas ou enfin leur satisfaction en ce monde.