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LES FEMMES DE LA RÉVOLUTION

la Terreur ; on se hâtait de fixer sur la toile une ombre de cette vie si peu sûre. L’attrait singulier de pureté, de dignité, qui était en cette jeune femme, amenait là les violents, les ennemis de son mari. Que ne dut-elle pas entendre ! Quelles dures et cruelles paroles ! Elle en est restée atteinte, languissante, maladive pour toujours. Le soir, parfois, quand elle osait, tremblante et le cœur brisé, elle se glissait dans l’ombre jusqu’à la rue Servandoni, sombre, humide ruelle, cachée sous les tours de Saint-Sulpice. Frémissant d’être rencontrée, elle montait d’un pas léger au pauvre réduit du grand homme ; l’amour et l’amour filial donnaient à Condorcet quelques heures de joie, de bonheur. Inutile de dire ici combien elle cachait les épreuves du jour, les humiliations, les duretés, les légèretés barbares, ces supplices d’une âme blessée au prix desquels elle soutenait son mari, sa famille, diminuant les haines par sa patience, charmant les colères, peut-être retenant le fer suspendu. Mais Condorcet était trop pénétrant pour ne pas deviner toute chose ; il lisait tout, sous ce pâle sourire dont elle déguisait sa mort intérieure. Si mal caché, pouvant à tout moment se perdre et la perdre, comprenant parfaitement tout ce qu’elle souffrait et risquait pour lui, il ressentait le plus puissant aiguillon de la Terreur. Peu expansif, il gardait tout, mais haïssait de plus en plus une vie qui compromettait ce qu’il aimait plus que la vie.

Qu’avait-il fait pour mériter ce supplice ? Nulle des fautes des Girondins. Loin d’être fédéraliste, il avait, dans un livre ingénieux, défendu le droit de Paris,