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LES FEMMES DE LA RÉVOLUTION

livrée. Elle écrivit son aventure ; elle voulait l’imprimer ; elle en avait lu, dit-on, quelques pages aux Jacobins, lorsque éclata le 10 août.

Un des hommes qu’elle haïssait le plus était le journaliste Suleau, l’un des plus furieux agents de la contre-révolution. Elle lui en voulait, non seulement pour les plaisanteries dont il l’avait criblée, mais pour avoir publié, à Bruxelles, chez les Autrichiens, un des journaux qui écrasèrent la Révolution à Liège, le Tocsin des rois. Suleau était dangereux, non par sa plume seulement, mais par son courage, par ses relations infiniment étendues, dans sa province et ailleurs. Montlosier conte que Suleau, dans un danger, lui disait : « J’enverrai, au besoin, toute ma Picardie à votre secours. » Suleau, prodigieusement actif, se multipliait ; on le rencontrait souvent déguisé. La Fayette, dès 90, dit qu’on le trouva ainsi, sortant le soir de l’hôtel de l’archevêché de Bordeaux. Déguisé cette fois encore, armé, le matin même du 10 août, au moment de la plus violente fureur populaire, quand la foule, ivre d’avance du combat qu’elle allait livrer, ne cherchait qu’un ennemi, Suleau, pris dès lors, était mort. On l’arrêta dans une fausse patrouille de royalistes, armés d’espingoles, qui faisaient une reconnaissance autour des Tuileries.

Théroigne se promenait avec un Garde-française sur la terrasse des Feuillants quand on arrêta Suleau. S’il périssait, ce n’était pas elle du moins qui pouvait le mettre à mort. Les plaisanteries mêmes qu’il avait lancées contre elle auraient dû le protéger. Au point de vue chevaleresque, elle devait le défendre ; au