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Mais quelques mots d’abord, pour déterminer la situation que Rossini et Wagner occupaient vers cette époque à Paris.

C’était pendant l’hiver 1860. Wagner habitait rue Newton, n° 16 (près de la Barrière de l’Étoile), un petit hôtel (démoli depuis) qu’il avait en grande partie meublé, au moyen de ses propres meubles transportés de Zurich, où ils garnissaient une résidence, qu’il avait nommée Azyl. Ce fut de là qu’il partit, en 1859, pour se rendre en France. Accoutumé à ce mobilier, qui lui rappelait un milieu qu’il avait quitté avec regret, il désirait être entouré des objets variés, dont la vue constante devait évoquer les souvenirs toujours palpitants de cette femme toute de charme, cette Mathilde Wesendonck, pour laquelle, durant un voisinage de plusieurs années à Zurich, il avait conçu l’enthousiasme que l’on sait ; la même qui exerça tant d’influence sur la direction de son génie[1].

Dans cette demeure tranquille, il vivait très modestement. Voisin du Bois de Boulogne, il ne sortait guère que pour y aller faire une promenade quotidienne, accompagné d’un petit chien très vif, qu’il aimait à voir sautiller autour de lui. Le reste du jour se passait à collaborer d’arrachepied avec Edmond Roche à la traduction française de Tannhäuser. Dans les intervalles, il se consacrait à la tétralogie, mettant la dernière main à l’orchestration de

    valoir de connaître les moindres détails d’une conversation essentiellement privée, survenue inopinément à l’occasion d’une visite de politesse et dont ni Rossini ni Wagner n’avaient souci d’entretenir la curiosité publique.

    D’autre part, c’est se faire une idée erronée du caractère de ces deux grands esprits que de croire l’un, — reconnu pour son urbanité — capable d’invectiver un visiteur qu’il admettait chez lui ; et l’autre, — qui n’avait déjà donné que trop de preuves de son indomptable fierté — disposé à se courber et à supporter la moindre atteinte dont sa dignité aurait eu à souffrir.

    Il suffit de faire appel au simple bon sens, pour détruire à jamais de telles assertions.

  1. Voir le livre : Richard Wagner an Mathilde Wesendonck, Tagebuchblätter und Briefe, 1853-1871 (Berlin, 1904).