Page:Michotte - La Visite de R. Wagner à Rossini, 1906.djvu/16

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 12 —

phoniques d’une partition où l’écriture est si complexe. Que dire de cette interprétation intensive où le maître nous initiait au sens véritable, au caractère profond de sa pensée, telle qu’il l’avait conçue ? Quel feu ! quel entrain ! quelle exubérance de déclamation ! Quant à la voix, — pas toujours juste ! ! par exemple, — voix décomposée de compositeur, comme il le disait plaisamment, et de nature, ajoutait-il, à mettre en fuite tous les maîtres chanteurs, sans excepter ceux de Nürnberg ! Allusion aux Meistersinger, dont il venait de terminer le scénario.

Telle était alors la vie si ignorée de Wagner à Paris. Malgré la répugnance qu’il éprouvait pour les visites, il n’avait pu cependant se dispenser des formalités d’usage à l’égard de quelques personnalités du monde musical. Il vit Auber, Halévy, Ambroise Thomas, etc… Il connaissait Gounod[1].

  1. C’est à la suite de ces visites qu’un soir, entre intimes, Wagner nous communiqua ses impressions sur ces compositeurs En voici le résumé :

    « Les opéras d’Halévy, musique de façade !… Croirait-on qu’en ma première jeunesse, je les admirais sincèrement ? J’étais alors un peu badaud comme on l’est à cet âge naïf. L’homme que je viens de voir, m’est apparu froid, prétentieux, peu sympathique.

    » Auber, lui, fait de la musique adéquate à sa personne, qui est foncièrement parisienne, spirituelle, pleine de politesse et… très papillonnante, on le sait. Tout cela se reflète dans ses partitions. Je l’aime comme homme et l’estime beaucoup comme musicien.

    » Rossini, il est vrai, je ne l’ai pas encore vu ; mais on le caricaturise comme un gras épicurien, farci non de musique, — puisqu’il s’en est vidé depuis longtemps, — mais de mortadelle !

    » Gounod : artiste exalté, en pâmoison perpétuelle. Dans la conversation, un charmeur irrésistible. Mélodiste mièvre, il manque de profondeur autant que de largeur ; tout au plus frôle-t-il parfois ces deux hautes qualités ; mais sans jamais parvenir à se les approprier. »

    Champfleury se hasarda à répliquer : « L’on ne doit pourtant pas méconnaître que dans les rôles si mélodiques de Faust et de Marguerite, et surtout dans toute la scène du Jardin, Gounod a introduit une note expressive, inconnue avant lui dans la musique d’opéras français. »

    À ce nom de Faust, Wagner bondit.

    « Ah ! parlons-en, s’écria-t-il ; j’ai vu cette parodie théâtrale de notre Faust allemand.

    » Faust et son compère Méphisto m’ont absolument fait l’effet de