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Là, le regard de Wagner s’arrêta aussitôt sur un portrait de Rossini, où il est représenté demi-corps, grandeur nature, enveloppé d’un large manteau vert et coiffé d’une calotte rouge, — portrait reproduit par la gravure et bien connu depuis.

« Cette physionomie spirituelle, cette bouche ironique — c’était bien là l’auteur du Barbier — me dit Wagner. Ce portrait doit dater de l’époque où cet opéra fut composé ? »

« Quatre années plus tard — répliquai-je ; — ce portrait peint par Meyer, à Naples, date de 1820. »

« Il était beau garçon, et dans ce pays du Vésuve où le féminin flambe facilement, il a dû produire bien des ravages, » ajouta Wagner en souriant.

« Qui sait ? — dis-je — s’il avait eu comme Don Juan un valet aussi bon comptable que Leporello, peut-être le nombre mille e tre relevé sur le carnet, eût-il été dépassé ? »

« Oh ! comme vous y allez, riposta Wagner, mille, je l’admets, mais encore tre, c’est vraiment trop ! »

— Sur ce, le valet de chambre vint nous avertir que Rossini nous attendait.

Aussitôt que nous entrâmes : « Ah ! monsieur Wagner, — fit-il — comme un nouvel Orphée, vous ne craignez pas de franchir ce seuil redoutable… (Et sans laisser à Wagner le temps de répliquer) : Je sais que l’on m’a beaucoup noirci dans votre esprit[1]

« L’on me prête à votre sujet maintes railleries que rien d’ailleurs ne justifierait de ma part. Et pourquoi agirais-je

  1. En rapportant la conversation entre les deux maitres, je me suis attaché autant que possible, à la reproduire dans sa forme intégrale.

    Elle est surtout quasi textuelle en ce qui concerne Rossini, lequel ayant épousé en secondes noces Olympe Pélissier, une Parisienne, était habitué à parler la langue française dont il connaissait toutes les finesses, y compris l’argot.

    — Quant à Wagner, moins familiarisé avec cet idiome, il multipliait fréquemment les périphrases, afin d’arriver à bien préciser sa pensée. — J’ai cru devoir parfois résumer celle-ci en un langage plus concis et plus littéraire.