Page:Michotte - La Visite de R. Wagner à Rossini, 1906.djvu/24

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 20 —

de la sorte ? Je ne suis ni Mozart ni Beethoven. Je n’ai pas non plus la prétention d’être un savant ; mais je tiens à avoir celle d’être poli, et de me garder d’injurier un musicien qui, comme vous le faites, — d’après ce qu’on m’a dit, s’efforce d’étendre les limites de notre art. Ces grands malins qui prennent plaisir à s’occuper de moi, devraient au moins m’accorder, sauf d’autres mérites, celui de posséder le sens commun.

» Quant à mépriser votre musique, d’abord je devrais la connaître ; pour la connaître je devrais l’entendre au théâtre, car ce n’est qu’au théâtre et non à la simple lecture d’une partition, qu’il est possible de porter un jugement équitable sur une musique destinée à la scène. La seule composition que je connais c’est votre marche de Tannhäuser. Je l’ai entendue plusieurs fois à Kissingen lorsque j’y fis une cure il y a trois ans. Elle produisait grand effet et — je l’avoue bien sincèrement — pour ma part je l’ai trouvée très belle. »

« Et maintenant que tout malentendu, comme je l’espère, est dissipé entre nous, dites-moi comment vous vous trouvez de votre séjour à Paris ? Vous êtes en pourparlers, je le sais, pour faire représenter votre opéra Tannhäuser ?… »


Wagner parut impressionné de ce préambule accueillant, dit d’un ton simple et empreint de grande bonhomie. Plein de déférence : « Qu’il me soit permis, — répondit-il — illustre maître, de vous remercier de ces paroles bienveillantes. Elles me touchent vivement. Elles me prouvent combien dans l’accueil que vous voulez bien me faire, votre caractère ce dont je n’ai jamais douté — se montre noble et grand. Croyez surtout, je vous prie, quand même vous eussiez émis des critiques sévères à mon égard, — que je ne m’en serais pas senti offensé. Je le sais, mes écrits sont de nature à faire naître des interprétations erronées. Devant l’exposé d’un vaste système d’idées nouvelles, les juges les mieux intentionnés peuvent se méprendre sur leur signification. C’est pourquoi il me tarde, de pouvoir faire la démonstration logique et complète de mes tendances, par des exécutions intégrales et aussi parfaites que possible, de mes opéras… »