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plus, étant à l’âge où plutôt on décompose, en attendant que j’aille redécomposer pour tout de bon — je suis trop vieux pour tourner mes regards vers de nouveaux horizons ; mais vos idées — quoiqu’en disent vos détacteurs — sont de nature à faire réfléchir les jeunes. De tous les arts, la musique est celui qui, à cause de son essence idéale, est surtout destiné aux transformations. Celles-ci sont sans limites. Après Mozart, pouvait-on prévoir Beethoven ? Après Gluck, Weber ? Et après ceux-ci ce n’est certes pas la fin. Chacun doit donc tâcher, sinon d’avancer, au moins de trouver du nouveau sans se préoccuper de la légende d’un certain Hercule, grand voyageur à ce qu’il paraît, lequel arrivé à un certain endroit où il ne voyait plus très clair, planta, dit-on, sa colonne, puis rebroussa chemin. »


Wagner. « C’était peut-être un poteau de chasse privée, pour empêcher d’autres de pénétrer plus loin ?… »


Rossini. « Chi lo sa ? Vous avez sans doute raison, car on assure qu’il montrait une crâne prédilection pour la chasse au lion. — Espérons toutefois, que notre art ne soit jamais borné par un poseur de colonnes de ce genre-là. Pour ma part, je fus de mon temps. À d’autres, à vous en particulier, que je vois vigoureux et imprégné de tendances aussi magistrales, il appartient de faire du nouveau et de réussir, — ce que je vous souhaite de tout mon cœur.



Ainsi finit cette entrevue mémorable où pendant la grosse demi-heure qu’elle dura, ces deux hommes — dont la verve spirituelle de l’un ne laissa pas en reste les réparties humoristiques de l’autre — n’eurent pas l’air de s’être ennuyés, je puis l’attester.



Rossini, en nous reconduisant par la salle à manger attenante à sa chambre, s’arrêta brusquement devant un délicieux petit meuble en fine marqueterie, posé entre les deux fenêtres et que tous les habitués de ses salons connaissaient. C’était un petit orgue mécanique du XVIIe siècle, de fabrication florentine.