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Puis c’est un feu nourri, dominé par la voix
Rugissante de l’ours qui remplit tout le bois.
Il rugit de douleur, de honte, de furie.
Derrière lui, chiens, gens, traqueurs, tout hurle et crie.
La trompe sonne. Au bois on court de tous côtés,
Tous arment les fusils ! Tous semblent enchantés ;
Seul le Woïski prétend que la chasse est manquée.
Chasseurs, piqueurs avaient tous leur place indiquée.
Ils sont allés cerner l’ours dans le même sens,
Et l’animal, fuyant leurs cris assourdissants,
Se jette vers les lieux laissés sans surveillance,
Vers les champs, d’où chacun dans la forêt s’élance,
Où le Woïski n’a plus, de ses nombreux chasseurs,
Que le Comte et Thadée avec quelques piqueurs.

Du bois, plus rare ici, sort un bruit de branchages,
Puis l’ours, comme l’éclair jaillissant des nuages ;
Les chiens le suivent, fous, sanglants ; lui, sur ses pieds
Se dresse, et rugissant les arrête effrayés.
De ses pieds de devant il arrache de terre
Et lance troncs noircis, racines, blocs de pierre
Sur les chiens, sur les gens. Il casse un arbre entier,
Puis comme une massue il le fait tournoyer
Et court sur les derniers chasseurs restés en place,
Sur le Comte et Thadée. A l’ours tous deux font face.
Sur lui, sans sourciller, ils braquent leurs fusils
Et d’aucune frayeur leurs cœurs ne sont saisis ;
Puis ensemble tous deux ils pressent la détente,
(Les maladroits !). Ils vont périr faute d’entente.
Ils ont manqué. L’ours saute ; ils saisissent tous deux
A deux mains un épieu qui se trouve près d’eux.
Ils se l’arrachent… Mais de cette gueule immense
Et rouge, un double rang de crocs brille et s’avance ;
Deux lourdes pattes vont s’abattre sur leur front :
Ils pâlissent, ils fuient vers le bois. D’un seul bond
L’animal les rejoint : il se dresse, il s’élance
Et les manque ; il repart bientôt, il prend l’avance :
Le Comte sent déjà la patte sur sa peau…
Déjà son crâne va sauter comme un chapeau,
Quand le Notaire accourt et l’Assesseur se montre :
Un peu plus loin, Gervais arrive à leur rencontre
Avec Robak sans arme : et soudain tous les trois
Comme sur un signal ils tirent à la fois.
L’ours bondit dans les airs, retombe sur la tête
Et bat l’air de ses pieds ; et la sanglante bête