Page:Migne - Encyclopédie théologique - Tome 31.djvu/9

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
13
14
INTRODUCTION.


tions ? Que peut-elle opposer à ceux qui ne voudraient pas lui obéir ? Elle est un conseiller et non un maître ; elle fait voir le bien, elle manque de moyens pour le faire pratiquer. Son prétendu empire ressemble à celui d’un souverain qui, dépourvu de tout moyen de coaction, s’en rapporterait à la sagesse de ses sujets pour l’observation de ses lois. — Si les passions combattent les conseils, lequel des deux l’emportera ? Qu’y at-il dans la raison isolée et indépendamment de l’autorité qui nous la rende plus obligatoire que la passion ? Entre l’un qui me dit que telle action est louable, et l’autre qui me fait sentir que l’action contraire est agréable, quelle cause me fera préférer ce que je pense à ce que je sens, et la spéculation abstraite de mon esprit au sentiment ardent de mon cœur ? Le dictamen de la passion est plus vif, plus impérieux et tout aussi pratique que celui de la raison. — Certes, il n’est pas un sage qui n’appelât insensé celui qui se fierait entièrement à la raison de son fils en fait de morale.

Système. V. Nous trouverons peut-être une meilleure ressource dans le sentiment moral, dans cette espèce d’instinct qui nous fait admirer, aimer la vertu et détester le crime. Sans contester ici la réalité de ce sentiment, peut-il raisonnablement être présenté comme la base de la morale ? n’avons-nous pas les mêmes reproches à lui faire qu’à la raison ? Eclaire-t-il sur tous les devoirs ? Sommes-nous portés par notre nature à les distinguer, à les mirer comme le chien du chasseur qui poursuit son gibier ? Cette seule supposition est une absurdité. Le sentiment moral, cette espèce d’instinct, aura-t-il la force de faire observer la loi, quand les passions et les intérêts contraires entraîneraient au vice ? Il faudrait un goût bien décidé pour la vertu, pour se déterminer à la pratiquer dans ce qu’elle a de plus difficile, sans d’autre motif que l’amour qu’on lui porte. Et celui qui n’aurait pas ce goût, par quel ressort serait-il mû ?

Système. Par les lois, disent nos profonds raisonneurs, par la crainte des supplices, et par l’espoir des récompenses que la société peut établir l’homme en général craint plus le gibet que les dieux. — Mais toute législation humaine est nécessairement incomplète, incapable même de punir tous les vices qu’elle défend, et de récompenser tous les actes de vertu qu’elle prescrit.

VI. Si les principes des mœurs ne sont pas pris dans Dieu même et dans l’ordre qui l’a établi, et que sa providence maintient, on pourra bien faire des lois pour régler les actions des hommes et pour la police des sociétés, mais qui réglera son esprit, sa volonté et son cœur ? et si l’esprit et le cœur ne sont pas réglés par une autorité supérieure qui leur puisse commander, s’en faire obéir, que deviendront toutes les institutions humaines ? l’âme, partie principale de l’homme, sera sans règle intérieure, sans loi qui lui soit propre.

Si nous considérons la législation en elle-


même, combien de lois absurdes, injustes, pernicieuses chez la plupart des peuples ! D’ailleurs, les lois sont impuissantes sans les mœurs. Les esprits rusés savent les éluder, et les hommes puissants pensent impunément les braver. Il en a été de même dans tous les temps et chez toutes les nations.

Aucune société n’est assez puissante pour récompenser tous les actes de vertu qui peuvent être faits par ses membres ; plus les récompenses sont communes, plus elles perdent de prix. Et puis le législateur distinguera-t-il toujours le véritable mérite ? Comme cela arrive tous les jours, la vertu sincère ne demeurera-t-elle pas ignorée oubliée, tandis que la faveur tombera sur les coupables et sur les hypocrites ? Il n’y a qu’un tribunal où la vertu puisse espérer de trouver une appréciation et une récompense proportionnée à son mérite : c’est celui de Dieu, qui discerne sûrement la vérité, et ne fait ni faveur ni injustice.

Système. VII. Il y a enfin an quatrième principe de morale présenté par les incrédules, c’est l’intérêt personnel, le sentiment de l’honneur, le désir de la gloire, la crainte de s’avilir. – Remarquons d’abord que le principe de la morale doit être universel, qu’il doit s’étendre à tous les hommes et à toutes les actions. Combien de fois l’intérêt personnel ne commande-t-il pas le vice ? Combien de fois la pratique de la vertu n’impose-t-elle pas de grands sacrifices ? L’intérêt personnel soutiendra-t-il la vertu au milieu des railleries, des contradictions qu’elle est obligée d’essuyer ? — Le sentiment de l’honneur est là, dit-on. Mais l’honneur ne parle pas à tous les cœurs ; il y a des âmes qui y sont insensibles et qui ne reconnaissent d’autre bien que la satisfaction de leur intérêt personnel. Et d’ailleurs, l’honneur du monde est-il toujours d’accord avec les véritables principes ? Qu’y aura-t-il donc pour soutenir dans le bien, quand on aura contre soi tous les intérêts possibles ?

Nous sommes loin de méconnaître que ces divers sentiments aient une grande influence sur les actions des hommes. Pour qu’ils soient légitimes et bien réglés, ils doivent être dirigés par la religion, qui est la véritable base de la morale.

§ 11.
Du véritable fondement de la morale.

VIII. Tous les hommes véritablement sages ont enseigné que l’ordre moral repose essentiellement sur la Divinité. Et en effet Dieu en est la base la plus rationnelle, la plus solide, la plus appropriée à tous nos besoins. Dieu a établi l’ordre le plus admirable dans toute la nature. Il a pourvu avec une merveilleuse sagesse à la destination des êtres même inanimés, et aux moyens de l’atteindre ; il leur a donné des lois analogues à leur nature. Est-il croyable que le chef-d’œuvre de la création, que l’âme humaine serait le seul être abandonné sans aucune loi ? Etudiez les moindres créatures matérielles, vous y rencontrerez le plus bel ordre