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INTRODUCTION.

marche est celle de toutes les puissances qui s’élèvent : avant d’être admises dans le gouvernement, elles le surveillent au dehors ; elles passent ensuite du droit de contrôle à celui de coopération. L’époque où le tiers-état devait entrer en partage de la domination était enfin arrivée. Il avait dans d’autres temps fait des tentatives infructueuses, parce qu’elles étaient prématurées. Il était alors émancipé depuis peu, il n’avait rien de ce qui établit la supériorité et fait acquérir la puissance, car on n’obtient le droit que par la force. Aussi n’avait-il été que le troisième ordre dans les insurrections comme dans les états-généraux ; tout se faisait avec lui, mais rien pour lui. Sous la tyrannie féodale, il avait servi les rois contre les seigneurs ; sous le despotisme ministériel et fiscal, il avait servi les grands contre les rois ; mais, dans le premier cas, il n’avait été que l’employé de la couronne, et, dans le second, que celui de l’aristocratie. La lutte était déclarée dans une sphère et pour des intérêts qui n’étaient pas les siens. Lorsque les grands furent définitivement abattus à l’époque de la Fronde, il déposa les armes, ce qui prouve combien son rôle était secondaire.

Enfin, après un siècle de soumission absolue, il reparut dans l’arène, mais pour son propre compte. Le passé ne se refait pas, et il n’était pas plus possible à la noblesse de se relever de sa défaite, qu’il ne l’est aujourd’hui à la monarchie absolue de se relever de la sienne. La cour devait avoir un autre antagoniste, car il en faut toujours un, la puissance ne manquant jamais de candidat. Le tiers-état, dont la force, les richesses, la consistance et les lumières augmentaient chaque jour, était destiné à la combattre et à la déposséder. Le parlement ne formait pas une classe, mais un corps, et dans cette nouvelle lutte, il pouvait aider le déplacement de l’autorité, mais il ne pouvait pas l’arrêter à lui.

La cour elle-même avait favorisé les progrès du tiers-état, et avait contribué au développement d’un des principaux moyens, les lumières. Le plus absolu des monarques aida le mouvement des esprits, et créa l’opinion publique sans le