Page:Mignet - Histoire de la Révolution française, 1838.djvu/158

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
154
RÉVOLUTION FRANÇAISE.

demande en considération ; elle les invita ensuite au respect pour la loi et pour les autorités constituées, et leur permit de défiler dans son sein. Ce cortège, composé alors d’environ trente mille personnes, mêlé de femmes, d’enfants, de gardes nationaux, d’hommes à piques, et du milieu duquel s’élevaient des bannières et des signes tout à fait révolutionnaires, traversa la salle en chantant le fameux refrain : Ça ira, et en criant : Vive la nation ! vivent les sans-culottes ! à bas le veto ! Il était conduit par Santerre et par le marquis de Saint-Hurugues. En sortant de l’assemblée, il se dirigea vers le château, avec les pétitionnaires en tête.

Les portes extérieures en furent ouvertes par l’ordre du roi ; la multitude se précipita alors dans l’intérieur. Elle monta dans les appartements ; et, tandis qu’elle en ébranlait les portes à coups de hache, Louis XVI ordonna de les ouvrir, et se présenta à elle à peine accompagné de quelques personnes. Le flot populaire s’arrêta un moment devant lui ; mais ceux qui étaient dehors, et qui ne pouvaient pas être contenus par la présence du roi, avançaient toujours. On fit prudemment placer Louis XVI dans l’embrasure d’une fenêtre. Jamais il ne montra plus de courage que dans cette déplorable journée. Entouré de gardes nationaux, qui faisaient barrière contre la multitude, assis sur une chaise, qu’on avait élevée sur une table, afin qu’il put respirer un peu plus à l’aise et être vu du peuple, il garda une contenance calme et ferme. Il répondit constamment à ceux qui demandaient à grands cris la sanction des décrets : Ce n’est ni la forme, ni le moment de l’obtenir de moi. Ayant le courage de refuser ce qui était l’objet essentiel de ce mouvement, il ne crut pas devoir repousser un signe vain pour lui, et qui, aux yeux de la multitude, était celui de la liberté : il mit sur sa tête un bonnet rouge, qui lui fut présenté au bout d’une pique. La multitude fut très satisfaite de cette condescendance. Peu d’instants après, elle le couvrit d’applaudissements, lorsque, étouffant de chaud et de soif, il but sans hésiter dans un verre que lui présenta un ouvrier à moitié ivre. Cependant Vergniaud, Isnard, et quel-