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RÉVOLUTION FRANÇAISE.

ainsi que Billaud-Varennes s’y trouvant trop faibles, donnèrent leur démission. Une chose contribua davantage encore à la ruine de leur parti, en soulevant avec violence l’opinion publique contre lui, ce fut la publicité donnée aux crimes de Joseph Lebon et de Carrier, deux des proconsuls du comité. Ils avaient été envoyés, l’un à Arras et à Cambrai, frontière exposée aux invasions ; l’autre à Nantes, dernière limite de la guerre de la Vendée ; ils avaient signalé leur mission par-dessus les autres, en déployant une cruauté de caractère et des caprices de tyrannie, qui du reste viennent toujours à ceux qui sont investis de la toute-puissance humaine. Lebon, jeune, d’un tempérament assez frêle, était naturellement doux. Dans une première mission, il avait été humain ; mais il reçut des reproches du comité, et il fut envoyé à Arras, avec l’ordre de s’y montrer un peu plus révolutionnaire. Pour n’être pas en arrière de la politique inexorable des comités, il se livra aux excès les plus inouïs : il mêla la débauche à l’extermination ; il eut toujours en sa présence la guillotine, qu’il appelait sainte, et fit sa compagnie du bourreau, qu’il admettait à sa table. Carrier, ayant plus de victimes à frapper, avait encore surpassé Lebon ; il était bilieux, fanatique et naturellement sanguinaire. Il ne lui fallait qu’une occasion pour exécuter tout ce que l’imagination de Marat lui-même n’eût pas osé concevoir. Envoyé sur les bords d’un pays insurgé, il condamnait à mort toute la population ennemie, prêtres, femmes, enfants, vieillards, jeunes filles. Comme les échafauds ne suffisaient pas, il avait remplacé le tribunal révolutionnaire par une compagnie d’assassins nommée compagnie de Marat, et la guillotine par des bateaux à soupape, au moyen desquels il noyait ses victimes dans la Loire. Des cris de vengeance et de justice s’élevèrent contre tous ces forfaits, après le 9 thermidor. Lebon fut attaqué le premier, parce qu’il était plus particulièrement l’agent de Robespierre ; on en vint plus tard à Carrier, qui l’était du comité de salut public, et dont Robespierre avait désapprouvé la conduite.

Il y avait dans les prisons de Paris quatre-vingt-quatorze