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RÉVOLUTION FRANÇAISE.

Mais le parti conventionnel, rassuré du côté des démocrates, mit tous ses efforts à empêcher le triomphe des royalistes. Il comprit que le salut de la république dépendait de la formation des conseils, et que les conseils, devant être choisis par la classe moyenne, que dirigeaient des chefs royalistes, seraient contre-révolutionnairement composés. Il lui importait de confier la garde du régime qu’on allait établir à ceux qui étaient intéressés à le défendre. Pour éviter la faute de la constituante, qui s’était exclue de la législature suivante, la convention décida, par un décret, que les deux tiers de ses membres seraient réélus. Par ce moyen, elle s’assura la majorité des conseils, la nomination du directoire ; elle put accompagner dans l’état sa constitution, et la consolider sans secousse. Cette réélection des deux tiers était peu légale, mais elle était politique, et elle pouvait seule sauver la France du régime des démocrates ou des contre-révolutionnaires. La convention s’accorda une dictature modératrice, par les décrets du 5 et du 15 fructidor (22 et 30 août 1795), dont l’un établissait la réélection, et dont l’autre en fixait le mode. Mais ces deux décrets exceptionnels furent soumis à la ratification des assemblées primaires, en même temps que l’acte constitutionnel.

Le parti royaliste fut pris au dépourvu par les décrets de fructidor. Il espérait entrer dans le gouvernement par les conseils, dans les conseils par les élections, et opérer le changement de régime, lorsqu’il serait constitué en puissance. Il se déchaîna contre la convention. Le comité royaliste de Paris, dont l’agent était un homme assez obscur nommé Lemaître, les journalistes, les meneurs des sections, se coalisèrent. Ils n’eurent pas de peine à se donner l’appui de l’opinion, dont ils se faisaient les seuls organes ; ils accusèrent la convention de perpétuer son pouvoir, et d’attenter à la souveraineté du peuple. Les principaux partisans des deux tiers, Louvet, Daunou, Chénier, ne furent point ménagés, et tous les préparatifs d’un grand mouvement eurent lieu. Le faubourg Saint-Germain, naguère désert, se remplissait de jour en jour ; les émigrés arrivaient en foule, et les conjurés, déguisant assez