Page:Mignet - Histoire de la Révolution française, 1838.djvu/352

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
348
RÉVOLUTION FRANÇAISE.

On ne pouvait plus continuer un tel système ; il fallait recommencer le travail et revenir à la monnaie réelle.

Les hommes chargés de remédier à une aussi grande désorganisation étaient la plupart ordinaires ; mais ils se mirent à l’œuvre avec ardeur, courage et bon sens. « Lorsque les directeurs, dit M. Bailleul[1], entrèrent dans le Luxembourg, il n’y avait pas un meuble. Dans un cabinet, autour d’une petite table boiteuse, l’un des pieds étant rongé de vétusté, sur laquelle table ils déposèrent un cahier de papier à lettres et une écritoire à calumet, qu’heureusement ils avaient eu la précaution de prendre au comité de salut public, assis sur quatre chaises de paille, en face de quelques bûches mal allumées, le tout emprunté au concierge Dupont ; qui croirait que c’est dans cet équipage que les membres du nouveau gouvernement, après avoir examiné toutes les difficultés, je dirai plus, toute l’horreur de leur situation, arrêtèrent qu’ils feraient face à tous les obstacles, qu’ils périraient, ou qu’ils sortiraient la France de l’abîme où elle était plongée !... Ils rédigèrent sur une feuille de papier à lettres l’acte par lequel ils osèrent se déclarer constitués ; acte qu’ils adressèrent aussitôt aux chambres législatives. »

Les directeurs se distribuèrent ensuite le travail. Ils consultèrent les motifs qui les avaient fait choisir par le parti conventionnel. Rewbell, doué d’une activité très grande, homme de loi, versé dans l’administration et la diplomatie, eut dans son département la justice, les finances et les relations extérieures. Il devint bientôt, à cause de son habileté, ou de son caractère impérieux, le faiseur général civil du directoire. Barras n’avait aucune connaissance spéciale : son esprit était médiocre et de peu de ressources ; ses habitudes, paresseuses. Dans un moment de danger, il était propre, par sa résolution, à un coup de main semblable à celui de thermidor ou de vendémiaire. Uniquement capable, en un temps ordinaire, de

  1. Examen critique des Considérations de madame de Staël sur la Révolution française, par M. J.-Ch. Bailleul, ancien député, tome II, pag. 275 et 281.