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Page:Mignet - Histoire de la Révolution française, 1838.djvu/380

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RÉVOLUTION FRANÇAISE.

Lille, elle préparait à Saint-Pétersbourg la triple alliance ou la seconde coalition.

Le directoire, de son côté, sans finances, sans parti intérieur, n’ayant d’autre appui que l’armée, et d’autre éclat que la continuation de ses victoires, était hors d’état de consentir à une paix générale. Il avait augmenté le mécontentement par l’établissement de certaines taxes et par la réduction de la dette publique à un tiers consolidé, seul payable en argent ; ce qui avait ruiné les rentiers. Il fallait qu’il se maintînt par la guerre. L’immense classe des soldats ne pouvait être licenciée sans danger. Outre que le directoire se fût privé de sa force et se fût mis à la merci de l’Europe, il eût tenté une chose qui ne se fait jamais sans secousse que dans un temps d’extrême calme et d’un grand développement d’aisance et de travail. Le directoire fut poussé, par sa position, à l’invasion de la Suisse et à l’expédition d’Égypte.

Bonaparte était alors de retour à Paris. Le vainqueur de l’Italie et le pacificateur du continent fut reçu avec un enthousiasme obligé de la part du directoire, mais bien senti par le peuple. On lui accorda des honneurs que n’avait encore obtenus aucun général de la république. On dressa un autel de la patrie dans le Luxembourg, et il passa sous une voûte de drapeaux conquis en Italie, pour se rendre à la cérémonie triomphale dont il était l’objet. Il fut harangué par Barras, président du directoire, qui, après l’avoir félicité de ses victoires, l’invita « d’aller couronner une si belle vie par une conquête que la grande nation devait à sa dignité outragée. » Cette conquête était celle de l’Angleterre. On paraissait tout préparer pour une descente, tandis qu’on avait réellement en vue l’invasion de l’Égypte.

Une pareille entreprise convenait et au directoire et à Bonaparte. La conduite indépendante de ce général en Italie, son ambition qui perçait par élans à travers une simplicité étudiée, rendaient sa présence dangereuse. Il craignait, de son côté, de compromettre, par son inaction, l’idée déjà immense qu’on avait conçue de lui : car les hommes exigent de ceux qu’ils font