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ASSEMBLÉE CONSTITUANTE.

saires conciliateurs avaient eu mission de régler les différends des ordres : le ministère se chargea de régler les différends des commissaires. Par ce moyen, les états dépendaient d’une commission, et la commission avait pour arbitre le conseil du prince. Mais ces nouvelles conférences n’eurent pas une issue plus heureuse que les premières : elles traînèrent en longueur, sans qu’aucun des ordres voulût rien céder à l’autre, et la noblesse finit par les rompre en confirmant tous ses arrêtés.

Cinq semaines s’étaient déjà écoulées en pourparlers inutiles. Le tiers-état voyant que le moment était venu de se constituer, que de plus longs retards indisposeraient contre lui la nation, dont le refus des ordres privilégiés lui avait obtenu la confiance, se décida à agir, et y mit la mesure et la fermeté qu’il avait montrées dans son inertie. Mirabeau annonça qu’un député de Paris avait une motion à faire ; et Sièyes, dont le caractère était timide, l’esprit entreprenant, qui avait beaucoup d’autorité par ses idées, et qui plus que tout autre était propre à motiver une décision, démontra l’impossibilité de l’accord, l’urgence de la vérification, la justice qu’il y avait à l’exiger en commun, et il fit décréter par l’assemblée que la noblesse et le clergé seraient invités à se rendre dans la salle des états pour y assister à la vérification, qui aurait lieu tant en leur absence qu’en leur présence.

La mesure de la vérification générale fut suivie d’une autre plus énergique encore. Les communes, après avoir terminé la vérification, se constituèrent, le 17 juin, sur la motion de Sièyes, en assemblée nationale. Cette démarche hardie, par laquelle l’ordre le plus nombreux, et le seul dont les pouvoirs étaient légalisés, se déclarait la représentation de la France, et méconnaissait les deux autres jusqu’à ce qu’ils eussent subi la vérification, tranchait des questions jusque là indécises, et changeait l’assemblée des états en assemblée du peuple. Le régime des ordres disparaissait dans les pouvoirs politiques, et c’était le premier pas vers l’abolition des classes dans le régime privé. Ce mémorable décret du 17 juin contenait la nuit du 4 août ; mais il fallait défendre ce qu’on avait osé dé-