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RÉVOLUTION FRANÇAISE.

de lenteur, afin qu’ils n’arrivassent point dans un moment de passion, et, comme on l’avait vu jusque-là, dans la plupart des assemblées, avec des projets de renversement et de colère. Les mêmes dangers ne se trouvant point dans l’autre assemblée, qui n’avait que le jugement calme et désintéressé de la loi, son élection était immédiate et son autorité passagère.

Enfin, il existait, comme complément de tous les autres pouvoirs, un corps conservateur, incapable d’ordonner, incapable d’agir, uniquement destiné à pourvoir à l’existence régulière de l’état. Ce corps était le jury constitutionnaire ou sénat conservateur ; il devait être pour la loi politique ce que la cour de cassation était pour la loi civile. Le tribunat ou le conseil d’état se pourvoyaient devant lui, lorsque la sentence du corps législatif n’était pas conforme à la constitution. Il avait en outre la faculté d’appeler dans son sein un chef de gouvernement trop ambitieux ou un tribun trop populaire, par le droit d’absorption, et lorsqu’on était sénateur, on devenait inhabile à toute autre fonction. De cette manière, il veillait doublement au salut de la république, et en maintenant la loi fondamentale, et en protégeant la liberté contre l’ambition des hommes.

Quoi qu’on pense de cette constitution, qui paraît trop bien réglée pour être praticable, on ne saurait nier la prodigieuse force d’esprit et même les grandes connaissances pratiques qui l’ont dictée. Sièyes y tenait trop peu de compte des passions des hommes ; il en faisait des êtres trop raisonnables et des machines obéissantes. Il voulait, par des inventions habiles, éviter les abus des constitutions humaines, et fermer toutes les portes à la mort, c’est-à-dire au despotisme, de quelque part qu’il vînt. Je crois peu à l’efficacité des constitutions ; je ne crois, en pareil temps, qu’à la force des partis, à leur domination, et, de temps à autre, à leur accommodement. Mais je reconnais aussi que si une constitution convenait à une époque, c’était celle de Sièyes à la France de l’an VIII.

Après l’épreuve de dix années, qui n’avaient montré que des dominations exclusives ; après le passage toujours violent des