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CONSULAT.

constitutionnels de 1789 aux Girondins, des Girondins aux Montagnards, des Montagnards aux Réacteurs, des Réacteurs au directoire, du directoire aux conseils, des conseils à la force militaire, il ne pouvait plus y avoir de repos et vie publique que là. On était fatigué des constitutions usées, et celle de Sièyes était neuve ; on ne voulait plus d’hommes exclusifs, et elle interdisait, par l’élaboration des votes, l’arrivée subite ou des contre-révolutionnaires, comme au début du directoire, ou des démocrates ardents, comme à la fin de ce gouvernement. C’était une constitution de modérés, propre à finir une révolution et à asseoir un peuple. Mais par cela seul que c’était une constitution de modérés ; par cela seul que les partis n’avaient plus assez d’ardeur pour demander une loi de domination, il devait se trouver un homme plus fort que les partis abattus et que les modérés législateurs, qui refusât cette loi ou qui en abusât en l’acceptant. C’est ce qui arriva.

Bonaparte assistait aux délibérations du comité constituant ; il saisit avec son instinct de pouvoir tout ce qui, dans les idées de Sièyes, était capable de servir ses projets, et il fit rejeter le reste. Sièyes lui destinait les fonctions de grand-électeur, avec six millions de revenu, une garde de trois mille hommes, le palais de Versailles pour habitation, et toute la représentation extérieure de la république. Mais le gouvernement réel devait résider dans deux consuls, l’un de la guerre, l’autre de la paix, auxquels Sièyes ne pensait pas en l’an III, mais qu’il adoptait en l’an VIII, pour s’accommoder sans doute aux idées du temps. Cette magistrature insignifiante fut loin de convenir à Bonaparte. « Et comment avez-vous pu imaginer, dit-il, qu’un homme de quelque talent, et d’un peu d’honneur, voulût se résigner au rôle d’un cochon à l’engrais de quelques millions ? » Dès ce moment, il n’en fut plus question ; Roger-Ducos et la plupart des membres du comité se déclarèrent pour Bonaparte ; et Sièyes, qui abhorrait la discussion, ne sut ou ne voulut pas défendre ses idées. Il vit que les lois, les hommes, la France, étaient à la merci de celui qu’il avait contribué à élever.