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ASSEMBLÉE CONSTITUANTE.

et laissé subsister le vote par ordre en matière d’intérêts particuliers et de priviléges. Cette mesure, qui était défavorable aux communes, puisqu’elle tendait à maintenir les abus, en investissant la noblesse et le clergé du droit d’empêcher leur abolition, aurait été suivie de l’établissement de deux chambres pour les prochains états-généraux. Necker aimait les demi-partis, et voulait opérer, par des concessions successives, un changement politique qui devait être réalisé d’un seul coup. Le moment était venu d’accorder à la nation tous ses droits, ou de les lui laisser prendre. Son projet de séance royale, déjà bien insuffisant, fut changé en coup d’état par le nouveau conseil. Ce dernier crut que les injonctions du trône intimideraient l’assemblée, et que la France serait satisfaite de quelques promesses de réformes. Il ne savait pas que les derniers hasards auxquels il faut exposer la royauté sont ceux de la désobéissance.

Ordinairement les coups d’état éclatent d’une manière inattendue, et surprennent ceux qu’ils doivent frapper. Il n’en fut pas de même de celui-ci : ses préparatifs contribuèrent à l’empêcher de réussir. On craignait que la majorité du clergé ne reconnût l’assemblée en se réunissant à elle ; et, pour prévenir cette démarche décisive, au lieu d’avancer la séance royale, on ferma la salle des états, afin de suspendre l’assemblée jusqu’à ce jour. Les préparatifs qu’exigeait la présence du roi servirent de prétexte à cette inconvenante et maladroite mesure. L’assemblée était alors présidée par Bailly. Ce citoyen vertueux avait obtenu, sans les rechercher, tous les honneurs de la liberté naissante. Il fut le premier président de l’assemblée, comme il avait été le premier député de Paris, et comme il devait être son premier maire. Il était chéri des siens, respecté de ses adversaires, et quoiqu’il eût les vertus les plus douces et les plus éclairées, il possédait au plus haut degré le courage du devoir. Averti par le garde-des-sceaux, dans la nuit du 20 juin, de la suspension des séances, il se montra fidèle au vœu de l’assemblée, et ne craignit pas de désobéir à la cour. Le lendemain, à l’heure fixée, il se rendit à la salle