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RÉVOLUTION FRANÇAISE.

Berlier, ayant désapprouvé une institution aussi contraire à l’esprit de la république, dit : « Que les distinctions étaient les hochets de la monarchie. — Je défie, répondit le premier consul[1], qu’on me montre une république ancienne et moderne, dans laquelle il n’y ait pas eu de distinctions. On appelle cela des hochets. Et bien ! c’est avec des hochets que l’on mène les hommes. Je ne dirais pas cela à une tribune ; mais dans un conseil de sages et d’hommes d’état on doit tout dire. Je ne crois pas que le peuple français aime la liberté et l’égalité. Les Français ne sont point changés par dix ans de révolution ; ils n’ont qu’un sentiment, l’honneur. Il faut donc donner de l’aliment à ce sentiment-là ; il leur faut des distinctions. Voyez comme le peuple se prosterne devant les crachats des étrangers ; ils en ont été surpris : aussi ne manquent-ils pas de les porter... On a tout détruit ; il s’agit de recréer. Il y a un gouvernement, des pouvoirs ; mais tout le reste de la nation, qu’est-ce ? des grains de sable. Nous avons au milieu de nous les anciens privilégiés, organisés de principes et d’intérêts, et qui savent bien ce qu’ils veulent. Je peux compter nos ennemis. Mais nous, nous sommes épars, sans système, sans réunion, sans contact. Tant que j’y serai, je réponds bien de la république ; mais il faut prévoir l’avenir. Croyez-vous que la république soit définitivement assise ? Vous vous tromperiez fort. Nous sommes maîtres de le faire ; mais nous ne l’avons pas, et nous ne l’aurons pas si nous ne jetons point sur le sol de la France quelques masses de granit. » Bonaparte annonçait par là un système de gouvernement opposé à celui que la révolution se proposait d’établir et que réclamait la société nouvelle.

Cependant malgré la docilité du conseil d’état, malgré l’épuration subie par le tribunat et le corps législatif, ces trois

  1. Ce passage est extrait des Mémoires de M. Thibaudeau sur le consulat. Il y a dans ces Mémoires, extrêmement curieux, des conversations politiques de Bonaparte, des détails sur son gouvernement intérieur, et sur les principales séances du conseil d’état, qui répandent beaucoup de jour sur cette époque.