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RÉVOLUTION FRANÇAISE.

des droits de la société place absolument le dogme de la pratique de la souveraineté du peuple dans le sénat, qui est le lien de la nation. Voilà la seule doctrine sociale. » Le Sénat admit cette nouvelle doctrine sociale ; il s’empara de la souveraineté, et la garda en dépôt jusqu’au moment convenable pour la passer à Bonaparte.

La constitution du 16 thermidor an X (4 août 1802) éconduisit le peuple de l’état. Les fonctions publiques et administratives s’immobilisèrent comme celles du gouvernement. Les électeurs furent à vie ; le premier consul put augmenter leur nombre ; le sénat eut le droit de changer les institutions, de suspendre les fonctions du jury, de mettre les départements hors de la constitution, d’annuler les jugements des tribunaux, de dissoudre le corps législatif et le tribunat ; le conseil d’état fut renforcé ; le tribunat, déjà décimé par des éliminations, parut encore assez redoutable pour être réduit à cinquante membres. Tels furent en deux années les effrayants progrès du privilége et du pouvoir absolu. Tout, vers la fin de 1802, se trouva entre les mains du consul à vie, qui eut une classe dévouée dans le clergé ; un ordre militaire, dans la Légion-d’Honneur ; un corps d’administration, dans le conseil d’état ; une machine à décrets, dans l’assemblée législative ; une machine à constitution, dans le sénat. N’osant pas détruire encore le tribunat, d’où s’élevaient de temps à autre quelques paroles de liberté et de contradiction, il le priva de ses membres les plus courageux et les plus éloquents, afin d’entendre sa volonté docilement répétée par tous les corps de la nation.

Cette politique intérieure d’usurpation fut étendue au dehors. Bonaparte réunit, le 26 août, l’île d’Elbe, et, le 11 septembre 1802, le Piémont, au territoire français. Le 9 octobre, il occupa les états de Parme, laissés vacants par la mort du duc ; enfin, le 21 octobre, il fit entrer en Suisse une armée de trente mille hommes, pour appuyer un acte fédératif, qui réglait la constitution de chaque canton, et qui avait excité des troubles. Il fournit par là des prétextes de rupture à l’Angleterre, qui n’avait pas sincèrement souscrit à la paix. Le cabi-