Page:Mignet - Histoire de la Révolution française, 1838.djvu/445

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
441
EMPIRE.

s’était élevé, prenaient parti contre lui. Les prêtres conspiraient sourdement depuis sa rupture avec le pape. Huit prisons d’état avaient été créées d’une manière officielle contre les dissidents de ce parti. La masse nationale se montrait aussi lasse de conquêtes qu’elle l’avait été jadis des factions. Elle avait attendu de lui le ménagement des intérêts privés, l’accroissement du commerce, le respect des hommes ; et elle se trouvait accablée par les conscriptions, par les impôts, par le blocus, par les cours prévôtales, et par les droits-réunis, suites inévitables de ce système conquérant. Il n’avait plus seulement pour adversaires le peu d’hommes restés fidèles au but politique de la révolution, et qu’il appelait idéologues, mais tous ceux qui, sans opinions précises, voulaient recueillir les avantages matériels d’une meilleure civilisation. Au dehors, les peuples gémissaient sous le joug militaire, et les dynasties abaissées aspiraient à se relever. Le monde entier était mal à l’aise, et un échec devait amener un soulèvement universel. « Je triomphais, dit Napoléon lui-même, en parlant des campagnes précédentes, au milieu de périls toujours renaissants. Il me fallait sans cesse autant d’adresse que de force... Si je n’eusse vaincu à Austerlitz, j’allais avoir toute la Prusse sur les bras ; si je n’eusse triomphé à Iéna, l’Autriche et l’Espagne se déclaraient sur mes derrières ; si je n’eusse battu à Wagram, qui ne fut pas une victoire décisive, j’avais à craindre que la Russie ne m’abandonnât, que la Prusse ne se soulevât, et les Anglais étaient devant Anvers[1]. » Telle était sa condition : plus il avançait dans la carrière, plus il avait besoin de vaincre d’une manière plus décisive. Aussi, dès qu’il eut été battu, les rois qu’il avait soumis, les rois qu’il avait faits, les alliés qu’il avait agrandis, les états qu’il avait incorporés à l’empire, les sénateurs qui l’avaient tant flatté, et ses compagnons d’armes eux-mêmes, l’abandonnèrent successivement. Le champ de bataille porté à Moscou en 1812, recula vers Dresde en 1813, et autour de Paris en 1814, tant fut rapide ce revers de fortune !

  1. Mémorial de Sainte-Hélène, tome III, page 221.