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HISTOIRE DE LA RESTAURATION.

Bientôt les dangers du terrain sur lequel le roi asseyait son pouvoir devinrent manifestes. Tous les hommes qui avaient vu avec ombrage le retour des Bourbons comprirent que ceux-ci, en supportant, malgré eux, l’état de choses créé par la révolution, ne le regardaient point cependant comme un fait irrévocable. Ils jetèrent les hauts cris, et la presse, implacable et violente, fit retentir au loin leurs alarmes et leurs menaces. On eut hâte de l’enchaîner, et l’on rétablit la censure, en détournant le sens véritable d’un des articles de la constitution. Les partisans de l’ancien régime continuèrent néanmoins à se livrer à des déclamations fanatiques, et, comme il arrive toujours lorsque la liberté de la presse est suspendue , on attribua au pouvoir la pensée des excès qu’il ne réprimait pas. Des paroles imprudentes échappèrent souvent aux ministres et aux commissaires du gouvernement, et ceux qui s’appliquaient exclusivement à eux-mêmes le nom de royalistes, se répandaient en amères invectives, non-seulement contre la charte et les garanties qu’elle accordait, mais encore contre son royal auteur. Des ordonnances parurent, les unes offensantes pour l’armée et pour la nation, les autres tracassières et vexatoires ; des deuils d’expiation furent prescrits pour les royales victimes des orages révolutionnaires, et, dans le langage des proclamations officielles, comme dans celui de la chaire, la France entière semblait sans cesse accusée des atrocités commises pendant la terreur : le clergé essayait son pouvoir, en dictant une ordonnance qui interdisait les divertissements publics pendant les dimanches et les jours fériés de l’Église ; déjà il parlait de recouvrer ses dîmes, ses domaines, et tonnait contre les acquéreurs de biens nationaux ; enfin, la plupart des évêques adhéraient hautement, de tous leurs vœux, à la bulle du pape Pie VII, qui rétablissait l’ordre des jésuites, si impopulaire dans le royaume : l’armée, reléguée en d’obscures garnisons, pleurait ses aigles remplacées par des fleurs de lis, et cachait en frémissant ses glorieuses couleurs sous la cocarde blanche ; elle avait vu destituer par le général Dupont, puis par le maréchal Soult, contraint de céder aux exigences de la cour, une mul-