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RÈGNE DE NAPOLÉON.

des sentiments républicains, n’aurait eu garde de confier à l’auteur du 19 brumaire une dictature même momentanée. Il fallut que Bonaparte flattât ses chefs, et tint le langage d’un ami des libertés nationales, faible moyen de succès dans sa bouche ; car l’opinion publique, là surtout où elle domine, ne peut être conquise que par un langage véridique, ou qui offre du moins une apparence de sincérité.

Les premiers décrets impériaux datés de Lyon étaient énergiques : ils prononçaient la dissolution des chambres de Louis XVIII, convoquaient les collèges électoraux en assemblée extraordinaire du Champ-de-Mai, pour modifier les constitutions de l’empire dans l’intérêt du peuple ; l’ancienne noblesse était abolie, le séquestre ordonné sur tous les biens des Bourbons ; onze têtes furent proscrites : de ce nombre étaient celles de Talleyrand et de Marmont. Bientôt, se résignant à l’alliance forcée que la nécessité lui imposait, l’empereur admit les chefs patriotes Carnot et Fouché dans son conseil, le premier comme ministre de l’intérieur, et le second comme ministre de la police ; il tenta de gagner les constitutionnels, et Benjamin Constant eut la plus grande part à la rédaction de l’acte additionnel aux constitutions de l’empire. Cet acte reproduisait les principales dispositions de la charte de Louis XVIII, mais, par son titre étrange et justement réprouvé de l’opinion, il semblait placer la liberté à la suite du despotisme. Napoléon le soumit à l’acceptation du peuple : un million de Français consentirent, quatre mille osèrent protester. Bonaparte prêta serment à cette nouvelle constitution dans la solennelle assemblée du Champ-de-Mai, où les aigles furent distribuées aux régiments, et où il parut lui-même avec tout le cérémonial de l’empire. Les élections, presque toutes patriotes, étaient connues, et la chambre des représentants s’assembla le 3 juin sous de fâcheux auspices pour l’empereur : Lafayette y reparaissait sur l’horizon politique après vingt années d’une honorable retraite ; les voix se partagèrent pour la présidence entre lui et Lanjuinais ; ce fut Lanjuinais, l’orateur le plus hostile au gouvernement impérial, qui l’obtint. Les mesures