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RÈGNE DE CHARLES X.

les, et la joie publique éclata en bruyantes manifestations, auxquelles une répression cruelle et précipitée donna le caractère d’une émeute. Le sang coula dans la rue Saint-Denis, et le ministère parut encore plus odieux à la suite de ces troubles, qu’on l’accusa, suivant l’usage, d’avoir provoqués. Bientôt toutes les élections des départements furent connues ; la France apprit avec transport qu’une imposante majorité constitutionnelle était sortie de l’urne électorale. Vainement M. de Villèle voulut encore s’attacher au pouvoir en sacrifiant ses collègues les plus condamnés par l’opinion publique ; vainement épuisa-t-il toute espèce de combinaison pour former un nouveau conseil en harmonie avec la nouvelle chambre, et dont lui-même pût faire partie ; il avoua son impuissance, et tomba devant la volonté nationale qu’il avait si longtemps méconnue.

Le conseil dont il fut membre avait, durant une administration de sept années, frappé la nation dans un grand nombre de ses plus chers intérêts et dans toutes ses sympathies ; et tandis que ses actes impopulaires accumulaient chaque jour contre le pouvoir de nouveaux et formidables ressentiments, il ôtait chaque jour aussi quelque force, quelque moyen de résistance à l’autorité. En transformant les agents du pouvoir en aveugles instruments de sa volonté, il les déconsidéra ; il blessa l’armée par ses complaisances pour ceux qui spéculaient sur les conversions religieuses des régiments ; il s’aliéna les cours royales en condamnant leurs arrêts ; l’université, en fermant l’école normale, en suspendant les cours de deux illustres professeurs, de MM. Guizot et Cousin, dont les graves et profonds enseignements partageaient alors, avec les éloquentes leçons de M. Villemain, l’attention de la jeunesse studieuse ; enfin, en dissolvant la garde nationale de Paris, le ministère frappa toute la France dans chaque famille de la capitale, et se priva d’avance lui-même de tout moyen de conciliation en cas de lutte contre une population exaspérée. C’était la seconde fois, depuis douze ans, que le parti royaliste, possesseur du pouvoir, se perdait par ses propres fautes ; et si, depuis longtemps, il était arrêté que jamais la dynastie régnante ne s’iden-