Page:Mignet - Histoire de la Révolution française, 1838.djvu/525

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
521
RÈGNE DE CHARLES X.

génie ; il fallait l’imiter, et, comme lui, user de force et d’audace : l’armée serait fidèle, la bourgeoisie avait donné sa démission, la garde nationale de Paris s’était laissé désarmer, et l’on pouvait compter sur la multitude : quelques charbonniers et forts de la Halle n’étaient-ils pas venus en procession à Saint-Cloud, n’avaient-ils pas dit au roi ce mot répété par la cour avec complaisance : Maître charbonnier est maître chez lui ? D’après cela, pouvait-on douter que le peuple ne fût royaliste, et qu’il ne prît fait et cause pour la couronne ? Tels étaient les discours de ceux que le roi admettait dans son intimité : la seule personne qui aurait pu combattre avec succès une résolution téméraire qu’elle n’approuvait pas, madame la dauphine, était absente, et tout contribuait à abuser le malheureux prince, déjà trop enclin à se faire illusion à lui-même. Son esprit obéissait à une influence plus haute et encore plus irrésistible : Charles X, et en cela son premier ministre lui était semblable, Charles X croyait avoir une grande mission à remplir ; il regardait comme un devoir sacré d’étouffer le libéralisme, d’établir son gouvernement sur des bases religieuses et monarchiques, et il se laissa persuader que l’article 14 de la charte, qui autorisait le roi à rendre des ordonnances pour le salut de l’état, l’autorisait aussi à sortir des voies légales, si l’état en péril ne pouvait être sauvé par la légalité. À ses yeux, le salut de la monarchie dépendait du maintien de son ministère et du triomphe du trône sur une chambre qu’il accusait de vouloir le renverser, et il ne crut point déchirer la charte, il ne fut point sciemment parjure, en recourant à ce funeste article pour la violer. L’image sanglante de son frère s’offrait sans cesse à ses regards : « Louis XVI, disait-il, avait été conduit à l’échafaud pour avoir cédé toujours ; » et Charles X, oubliant que le grand art de gouverner consiste à savoir employer à propos la concession et la résistance, crut sauver sa tête et sa couronne en ne cédant jamais.

Dans les derniers jours de juillet, le roi était invariablement résolu : son ministère délibérait encore, et, soit qu’il hésitât, soit qu’il voulût donner le change à l’opinion, des lettres