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ASSEMBLÉE CONSTITUANTE.

crépitude d’une monarchie, où un être tel que lui ne pouvait exercer ses immenses facultés que dans l’agitation, il s’était fait remarquer par la véhémence de ses passions, les coups de l’autorité, une vie passée à commettre des désordres et à en souffrir. À cette prodigieuse activité il fallait de l’emploi ; la révolution lui en donna. Habitué à la lutte contre le despotisme, irrité des mépris d’une noblesse qui ne le valait pas, et qui le rejetait de son sein ; habile, audacieux, éloquent, Mirabeau sentit que la révolution serait son œuvre et sa vie. Il répondait aux principaux besoins de son époque. Sa pensée, sa voix, son action étaient celles d’un tribun. Dans les circonstances périlleuses, il avait l’entraînement qui maîtrise une assemblée ; dans les discussions difficiles, le trait qui les termine ; d’un mot il abaissait les ambitions, faisait taire les inimitiés, déconcertait les rivalités. Ce puissant mortel, à l’aise au milieu des agitations, se livrant tantôt à la fougue, tantôt aux familiarités de la force, exerçait dans l’assemblée une sorte de souveraineté. Il obtint bien vite une popularité immense, qu’il conserva jusqu’au bout ; et celui qu’évitaient tous les regards lors de son entrée aux états, fut à sa mort porté au Panthéon, au milieu du deuil et de l’assemblée et de la France. Sans la révolution, Mirabeau eût manqué sa destinée ; car il ne suffit pas d’être grand homme, il faut venir à propos.

Le duc d’Orléans, auquel on a donné un parti, avait bien peu d’influence dans l’assemblée : il votait avec la majorité, et non la majorité avec lui. L’attachement personnel de quelques-uns de ses membres, son nom, les craintes de la cour, la popularité dont on récompensait ses opinions, des espérances bien plus que des complots, ont grossi sa réputation de factieux. Il n’avait ni les qualités, ni même les défauts d’un conspirateur ; il peut avoir aidé de son argent et de son nom des mouvements populaires qui auraient également éclaté sans lui, et qui avaient un autre objet que son élévation. Une erreur commune encore est d’attribuer la plus grande des révolutions à quelques sourdes et petites menées, comme si en pareille époque tout un peuple pouvait servir d’instrument à un homme !