Page:Milliet - Une famile de républicains fouriéristes, 1915.djvu/92

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Mais c'est en vain que traîtres et despotes,
Se ligueront contre la liberté ;
Oui, nous verrons leurs soldats et leurs flottes
Fondre au soleil de la Fraternité.
Plus de tyrans ! Les peuples seront frères,
Alors, alors ils pourront répéter :
Va, Némésis, jette loin tes lanières,
Car il n'est plus de méchants à fouetter.


7

Comment la ville de Genève qui se glorifie d’une longue et généreuse tradition d’hospitalité, eut-elle le triste courage de renoncer au droit d’asile, et de repousser cette famille de républicains qui vivait chez elle si paisiblement ? Des chansons ! Quel grand crime ! Les francs-maçons de Genève avaient fait à Félix Milliet un fraternel accueil ; l’abbé Lottin et lus Jésuites du Mans le dénoncèrent au gouvernement impérial qui exigea un nouvel exil ; et les autorités genevoises, trop faibles pour résister à l’empereur des Français, crurent devoir lui obéir. — De grand matin des agents de police entrèrent chez nous, saisirent les papiers qui se trouvaient dans le secrétaire, et emmenèrent mon père en prison. Le Journal de Genève publia un article perfide dans lequel F. Milliet était représenté à la fois comme un conspirateur dangereux et comme un agent provocateur, « allié à la noblesse française ». On cherchait à le rendre suspect à ses amis. Le colonel Humbert était indigné. Il menaçait du délivrer le proscrit et de faire une émeute. Le gouvernement de M. Tourte fit partir mon père en secret. Ma mère n’hésita pas : confiant ses enfants à des amis, et munie de quelques lettres de recommandation, elle alla à Berne plaider auprès des autorités fédérales la cause de son mari. Le délégué aux affaires étrangères la renvoya au Président du Conseil fédéral, celui-ci à d’autres hauts fonctionnaires. L’un d’eux donnait ses audiences dans une brasserie, où ma mère le trouva fumant sa pipe et absorbant un nombre de chopes prodigieux. 11 écouta la requête avec beaucoup de bienveillance, s’excusa sur les nécessités de la politique, plus fortes que les devoirs de l’hospitalité. Le gouvernement suisse ne pouvait pas, pour un simple chansonnier, se brouiller avec son puissant voisin. Sous la garde d’un seul agent de police, F. Milliet fut expédié à Anvers ut embarqué pour l’Angleterre.

Le poète qui venait d’exprimer si énergiquement son indignation et qui sentait si vivement les malheurs de son pays, accepta avec une résignation attristée sa propre infortune. C’est à son ami dévoué, au colonel Alexandre Humbert, qu’il dédia les vers suivants, d’une inspiration si noble et si émue.


LES ADIEUX

Lorsque, banni du doux pays de France,
Sous d'autres cieux j'errais en fugitif,
Suisse, je vins, le cœur plein d'espérance,
Sur ton beau sol poser mon pied furtif.
Je m'écriai : Salut et sois bénie,
Terre de Tell !... Je me sens abrité.
Et cependant, chassé de l'Helvétie,
Je vais au loin chercher la liberté.

Depuis un an, dans un modeste asile,
Cherchant le calme et l'oubli de nos maux,
Je respirais... De l'exil on m'exile.
Pour le proscrit il n'est point de repos.
Je ne voulais, pour renaître à la vie,
Rien qu'un peu d'ombre et de sécurité,
Et cependant, chassé de l'Helvétie,
Je vais au loin chercher la liberté.