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Page:Milton - Cheadle - Voyage de l’Atlantique au Pacifique.djvu/154

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la neige. À une pente très-rapide qui dévalait de plusieurs centaines de mètres dans un lac situé au pied, il arriva que le convoi atteignit le faîte avant que Cheadle eût eu le temps de se mettre en posture de frein. Son traîneau fila, glissant plus vite que les chiens ; le tout roulant les uns par-dessus les autres, dans une succession de culbutes, jusqu’à ce que, pêle-mêle, il fût parvenu en bas. Les chiens y restaient gisants, embarrassés dans leur harnais et abattus par la lourdeur du traîneau, qui semblait avoir dû briser tous les os de leurs corps, tant il les avait lourdement cognés dans leur chute prolongée. Cependant ces pauvres bêtes n’avaient pas de blessure. On mit, il est vrai, pas mal de temps à les tirer d’embarras et à replacer tout en ordre sur le chemin. Le voyage d’une journée se composait d’une perpétuelle succession de difficultés et de désastres. C’était la neige qui était trop profonde, ou les charges trop lourdes ; c’étaient les chiens faibles, obstinés, mais qui ne laissaient passer aucune occasion de nous faire des tours ; tantôt ils refusaient de tirer quand il le fallait, tantôt ils trouvaient une merveilleuse vitesse et paraissaient faire voler le traîneau, quand le malheureux conducteur arrivait pour les châtier. Il n’y a rien au monde qui soit plus propre à irriter le caractère le plus égal que le soin de diriger un attelage de chiens indiens. L’homme le plus pieux, le plus régulièrement évangélique, y perdrait sa patience ; il devrait être doué d’une vertu supérieure à celle de l’homme pour préserver ses lèvres d’un langage peu convenable à sa profession. Ainsi l’on raconte qu’un des missionnaires de la Saskatchaouane, homme très-respectable et très-pieux, voyageant en hiver avec quelques-uns de ses paroissiens, les étonna, les scandalisa par les anathèmes qu’il proféra tout à coup contre les chiens dont la malice l’avait poussé à bout. Ceux-ci s’éraient tranquillement couchés de la manière la plus insultante, la tête tournée de son côté, le regardant attentivement, mais sans faire aucun effort pour tirer eux et lui de l’embarras où ils étaient tombés.